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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 09:55
Mort

Dans le vent frétillant de mars
Cet inouï son de cloche himalayesque

L’oubli a la conscience d’une effraie déchirant la brume

La position de son ombre au moment d’avaler un comprimé
L‘amertume au bout des doigts
S’évade sur le fil de

Pendules orientés des hélianthes déboussolés
Lumière orangée criée déchaînée ahurie
Comme feu de brousse furibond
Crépue minuscule silhouette
Se laisse emporter par la rage
Incendiaire

Grain qui n’a jamais appartenu à un chapelet
Une part sera donnée   une au Sud   une à tous les antipodes
Une à la

Voix
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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 09:50
Une comédie de yve bressande


                La nuit de l’équinoxe Léa et Benjamin s’en vont repeupler le monde, laissant Xavier et  Adèle en tête à tête. Adèle a l’œil qui brille et Xavier n’est pas contre ce petit vent de printemps. L’arrivée impromptue de Cathy, la voisine du dessus, jette un froid réfrigérant sur cette fin de soirée et oblige à jouer les prolongations. Il faut faire sortir Larissa de là ! Une panne d’électricité n’arrange ni ne calme la situation, bien au contraire…
Un ange électricien surgit hors de la nuit ! La sève monte… Enfin, l’aube du grand soir se lève.


« On y va ? — On y va ! »


Synopsis

    Acte I
    Scène 1 : La fin du jeu.
    Scène 2 : Le bébé de Léa.
    Scène 3 : Ça ne coûterait pas si cher…
    Scène 4 : Mille ans dans le frigo.
    Acte II
    Scène 1 : Je ne veux pas sortir !
    Scène 2 : L’ange électricien.
    Scène 3 : Zut… déjà.
    Scène 4 : Y a l’téléphon qui son…
    Scène 5 : La révolte des gueux.
    ÉPILOGUE
    On y va ? ! …

Personnages

Léa : 27 ans  
Branchée, dynamique, rieuse. Elle est heureuse, pour elle la vie va de soit, l’avenir est plein de promesses. Elle a un boulot à mi-temps, pas de problèmes de fric.

Benjamin : 33 ans
Grand, allure sportive, il est prof de quelque chose scientifique dans le supérieur. Il a programmé sa vie, études, boulot, femme qu’il aime, maison, enfants, loisirs… retraite.
Il a fait un stage avec Adèle, ils se connaissent depuis la fac.

Il font le choix de la tranquillité et de la sécurité, quelque part du conformisme.


Adèle : 37 ans
Femme posée, réfléchie, décidée, positive.  Elle a le sens de l’humour et ne s’en départit pas. Il se pourrait que cette nuit soit un tournant de sa vie…
Elle a connu Xavier dans les manifs et réunions politiques, elle a un peu décroché depuis. Elle n’aurait pas été contre avoir un enfant, même que si…
Elle travail en free lance comme conseillère en développement personnel et motivation… c’est elle qui fait bouillir la marmite.
Stable jusqu’à l’arrivée de Vivien…
Puis montée, de + en + expansive, c’est sûr, sa vie va singulièrement se compliquer…

Elle fait le choix du changement et de l’action.

Xavier : 45 ans
Intello bavard, a réponse à tout, reste serein quoiqu’il arrive, mais souvent à côté de la plaque.
Il écrit des articles, des nouvelles et autres scénarios qui se  vendent très mal.
Militant révolutionnaire depuis 20 ans, tendance anar.
Très sûr de lui au début, rieur, sens de l’humour, dynamique, boit beaucoup… trop.
À l’arrivée de Vivien, il est déjà un peu bourré, il entame sa descente. Dans la dernière scène, son aigreur et son impuissance transparaîssent…

Il fait le choix de l’autruche, du discours stérile. Conduites suicidaires (alcoolisme, sida).

Cathy : 35 ans
Intelligente et sensible mais enfermée dans son “bene vole” — “Bonne sœur laïque”, militante humanitaire.
Travaille dans le sociale. Elle a recueilli Larissa chez elle à sa sortie de cure de désintox. N’a pas l’habitude de boire, s’est laissée entraîner par Larissa.
Elle flotte entre deux eaux puis se reprend au moment de partir.

Ne fait pas de choix partisan, tous le monde a le droit d’être sauvé.

Larissa : 22 ans
Look punkette destroy chic.
Paumée, alcoolo, camée, hystérique tendance nympho, reste néanmoins sympathique. Elle a suivi une cure de désintox, apparemment sans trop de résultat, elle boit beaucoup trop. À fond tout le temps, elle a pris de l’ecstasy en début de soirée. Descente dans la dernière scène, elle est ivre et fatiguée.

Elle fait le choix du “frigo”, peur et refus de l’avenir — puis celui de la jouissance de l’instant. No futur…


Vivien : 27 ans
Grand beau gosse.
Chômeur, exclu, militant révolté, anar. Il sait très bien ce qu’il fait et où il en est.
Il a suivi Larissa pendant quelques jours, c’est une position de repli après l’attentat.
Il reste lucide et calculateur, s'enthousiasme dès qu’il parle de Sa révolution.

Il est sûr d’avoir fait le bon choix !


Acte I

Scène 1

Xavier : Jack       Léa : Alicia         Benjamin : Peter       Adèle : Maureen

La scène démarre sur la fin d’un “jeu sur canevas” policier.
Les personnages sont désignés par leur nom dans le jeu.
Alicia porte une perruque. Elle entre, traverse la scène une petite bourse à la main, elle la met dans la poche d’un manteau. Un coup de feu claque. Alicia hurle et s’écroule. Jack entre précipitamment, il a une pipe à la main.



JACK : Qu’est-ce que c’est ? Alicia ! Ça va ? Tu es blessée ?

ALICIA : J’ai mal, Jack. Le salaud !

JACK : Ne bouge pas. Laisse-moi voir.

ALICIA : Non, ne m’touche pas, aïe !

PETER : Peter entre. Qui a tiré ? Vous avez entendu ? Alicia…

ALICIA : Fumier ! C’est lui, c’est Peter, j’en suis sûre. Aïe !

PETER : Moi ! Tu es folle ! J’étais en train de bouquiner dans la bibliothèque.
Il montre un livre. C’est grave ?

JACK : Je n’ai pas l’impression, elle est touchée au bras. On va l’emmener à l’hôpital.

Entre Maureen. En peignoir, pieds nus, une serviette de bain entoure ses cheveux.

MAUREEN : Alicia ! Mon dieu… Elle se précipite sur Alicia, repousse Jack. Mais elle saigne ! Ma pauvre chérie, tu vas pas mourir, dis ? Qui c’est qui t’a fait du mal ? On ne peut pas la laisser se vider. Ne restez pas plantés là comme des asperges de printemps ! Il faut appeler le SAMU. Alicia, comment tu te sens ?

ALICIA : Je crois que ça va aller, aide-moi…  merci.
S’adresse à Peter. Ordure ! Tu pensais m’avoir, et pouvoir filer avec le magot, hein ? Je te connais mieux que tu ne le croies… espèce d’hypocrite, égoïste… Aïe !

MAUREEN : Ne t’énerve pas, tu te fais du mal.

JACK : Tu l’as vu ? Tu es certaine que c’est lui ? Peter, c’est toi ?

ALICIA : Qui veux-tu que ce soit ? Le pape ! Regarde dans la poche de son manteau. La preuve est là. Depuis le début, je me doutais, rien qu’à voir sa mine de faux-cul polymorphe.

Jack va vers le manteau, fouille et sort la bourse.

MAUREEN : Merde… ! Les diam’s de la vieille…

Jack revient vers la table et vide la bourse, elle est pleine de “pierres précieuses”.

PETER : Non mais vous êtes dingues ! C’est un coup monté. C’est trop facile. Vous me prenez pour un débile profond ? Je n’aurais jamais /… fait une bêtise pareille.
(Au signe / … les répliques se chevauchent, Maureen attaque sur “jamais”.)

MAUREEN : La lettre volée… nous aussi on connaît nos classiques.

JACK : Résumons la situation. Il n’y a que toi et Maureen qui ayez pu tirer. Alicia, évidemment non. Moi j’étais dehors. Je n’ai matériellement pas eu le temps de faire le tour.

MAUREEN : J’étais sous la douche, j’ai entendu le coup… les cris, alors…

ALICIA : Ne t’en fais pas Maureen, personne ne t’accuse. Je sais bien que ce n’est pas toi. Tu n’aurais jamais pu.

Jack examine les pierres une à une.

JACK : Émeraudes, rubis, saphirs… il y en a pour une petite fortune, sauf qu’elles ne sont pas taillées. Il s’agit de nuggets en verre coloré. Des pierres brutes, ce n’est pas facile à écouler.  Et surtout, pas de diamants.

PETER : Il faut trouver la faille, le truc qui cloche. Maureen, quelle drôle d’idée de prendre une douche maintenant ?

ALICIA : Fiche-lui la paix connard, t’es foutu. Jack, casse-lui la gueule.

JACK : Attends, il était question de deux millions d’euros. Pour atteindre cette somme, il faut autre chose que de la verroterie. J’avoue que moi aussi je trouve le coup du sac dans la poche un peu tiré par les cheveux.

PETER : Tu vois Maureen, ça ne prend pas, l'appât est trop gros pour être avalé en une seule bouchée.

MAUREEN : Non mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ! Vous êtes tous devenus maboules ou quoi ? Alicia, dis quelque chose !

PETER : Maboule qui roule fait sa pelote… Qui mieux que toi avait intérêt à mettre ces cailloux dans ma poche, hein ?

MAUREEN : Je vais te /… les faire bouffer.

PETER : Me faire accuser, et garder les diam’s… Banco sur toute la ligne !

MAUREEN : Vous n’allez pas le croire. Alicia, tu vas pas croire ce type, dis. Il est fou, regarde ses yeux. Jack…

JACK pipe au bec : C’est forcément l’un de vous deux, on n’en sort pas. Si c’est toi (Maureen) qui l’as mis, pourquoi tirer sur Alicia ? Faire accuser Peter tout en créant une diversion pour qu’on ne cherche pas le reste des pierres. Peter n’aurait pas pris le risque de garder ces babioles dans sa poche. Sauf si tu (Peter) as planqué les diamants ailleurs. La partie émergée de l’iceberg, pour brouiller les pistes. Mais dans ce cas, pourquoi tirer sur Alicia ? Et si c’est vraiment toi, tu l’aurais tuée. À cette distance, même dans la pénombre… à moins que…

MAUREEN : Arrêtez ! C’est pas drôle. D'abord j’ai jamais su me servir d’un pistolet. Même pour un milliard je l’aurais pas assassinée, et fait du mal à Alicia.

ALICIA : Je la crois, elle ne tuerait pas pour de l’argent, alors que lui.

PETER : Sincèrement, tu m’imagines capable de tuer pour du fric ? Tu me déçois Alicia, mais maintenant je sais à quoi m’en tenir. Ça aura au moins servi à ça.

JACK : Tu avoues ?

PETER : Rien du tout ! Ce n’est pas moi. Quand j’ai, je partage ! Mais bon sang !

Il fonce sur Maureen et lui arrache la serviette qu’elle a sur la tête.

PETER :  Je vous l’avais bien dit qu’elle ferait une erreur !

MAUREEN : Quoi ?

PETER : Regardez, elle a les cheveux secs !

Jack s’approche de Maureen, lui touche les cheveux. Maureen se recule.

MAUREEN : Laissez-moi ! Non… je… j’avais un bonnet de bain !

PETER : Alors pourquoi la serviette ?

MAUREEN : … je… j’ai paniqué, je sais pas… une habitude…

PETER : Laisse-moi deviner. Tu entends le coup de feu, tu sors de la douche, tu prends le temps d’enfiler un peignoir, d’enlever le bonnet, de nouer la serviette. Je n’oublie rien ?

MAUREEN : Vous êtes tous siphonnés, c’est du mauvais cinoche série Z ! Alicia, j’t’en supplie, ne les laisse pas…

ALICIA : Tu n’as pas fait ça ma petite Maureen ? Explique-toi. Si ce n’est pas Peter… l’arme, où est l’arme ?

Maureen éclate d’un rire hystérique, sort le pistolet de sa poche, les menace et disparaît en courant.

ALICIA : Salope ! Aïe !

PETER : Elle n’ira pas loin, il faut prévenir la police… et te soigner Alicia. (…)

Tous les protagonistes se décontractent, quittent leur personnage, des cris fusent. Alicia enlève sa perruque.

Scène 2

Adèle — Xavier  — Benjamin — Léa

Adèle/Maureen revient sous les applaudissements. On se congratule. Retour à un quotidien festif. Grande complicité entre Xavier et Adèle, la distribution des rôles dans le couple est connue et jouée par les deux.

ADÈLE : Benjamin, tu m’as eue comme une bleue, je n’allais tout de même pas prendre une vraie douche.

XAVIER : Pourquoi pas… à peine une poignée de secondes de plus, et… Hé ! Tu es comment sous ce peignoir ma douce Adèle ?

ADÈLE : Arrête, Xavier ! Bas les pattes, gros dégueulasse. Bon, je vais me changer, j’en ai pour deux minutes. Elle sort.

BENJAMIN : On a méga bien joué ce soir, c’est un de nos plus réussis ! Qu’est-ce que vous en dites ? Classique mais béton. Les personnages ont fonctionné à donf du début à la fin.

XAVIER : C’est vrai, pour une fois j’étais vraiment dedans. Je le sentais jusqu’au bout du gros orteil.

LÉA : Oui, Adèle est vraiment extra, elle trouve toujours de ces trucs, elle devrait écrire des pièces.  Xavier pose sa pipe.

BENJAMIN :  C’est digne de ton prochain bouquin, Xavier ! Je te soupçonne même de  récupérer des idées en douce. Je t’imagine te précipitant sur ton ordi dès que nous aurons le dos tourné.

XAVIER : Autrement dit, elle ferait mieux d’écrire et moi de faire le guignol…  
C’est ça ?

LÉA : Ne boude pas mon bichounet, tu as été parfait ce soir. Et il est indéniable que tu as un petit talent pour la comédie.

XAVIER : Et voilà, elle se paye ma tête… pas moyen d’être sérieux cinq minutes.

LÉA : Sérieux ? Sérieux… qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Tu connais ce mot-là, mon chéri ?

XAVIER : Ouais… Sauf que pour la fin, je suis prêt à parier le champagne que vous vous êtes concertées en cachette pour arranger le coup, ce n’est pas possible autrement. Trop beau et trop bien ficelé. J’ai raison ?

Léa prend la pose, répond sur le mode déclamatoire grandiloquent façon tragédienne XIXe siècle.

LÉA :  Horreur ! M’accuser de trahison ! C’est trop injuste, regardez-moi, innocente colombe que je suis. Retour d’Adèle. Aaah ! je souffre.

ADÈLE : Vous avez recommencé un nouveau jeu ?

LÉA : Adèle… tu n’imagineras jamais… ton mec ose insinuer que nous aurions arrangé la fin.

ADÈLE : Nous ? Sous prétexte qu’on a été meilleures que vous, il faudrait qu’on ait triché, c’est ça ?

LÉA : Quel malheur, quelle injustice, comment laver cet affront ?

ADÈLE : Dans le vin, je ne vois pas d’autre solution.

LÉA : Alors, soyons fortes, Adèle.

ADÈLE : Xavier, va chercher une bonne bouteille, et ne reviens que quand elle sera débouchée.

XAVIER : Ça roule…

BENJAMIN : Je te suis, on ne sera pas trop de deux pour choisir.

Ils sortent. Léa ramasse les pierres et prend une cigarette, Adèle installe des verres.

LÉA : Tu n’as pas vu mon briquet ?

ADÈLE : Non. Tu étais vachement bien ce soir. Je te trouve en pleine forme. Pour le coup du pistolet et des pierres, Xavier et Benjamin se doutent de quelque chose. Mais après tout, si on ne s’amuse pas un peu… et sans ça nous y serions encore.

LÉA : Ouais, j’ai la super pêche !… Et puis ce n’est pas la première fois qu’on met les pouces, je suis certaine qu’ils n’y ont vu que du feu, pan !

ADÈLE : Ce sont deux vrais gamins, je me demande s’ils seront adultes un jour ? Enfin, surtout Xavier…

LÉA : Il faudrait que j’arrête de fumer… Tu sais… on s’est enfin décidé,  moi je voulais depuis longtemps. Mais Benjamin, lui… il repoussait tout le temps.

ADÈLE : Vous allez faire un gosse ! C’est vrai ? Ce que tu as de la chance. (…) Tu es déjà /…  enceinte ?

LÉA : Chuuut… Non, et on n’en a encore parlé à personne.

ADÈLE : Ce serait pour quand ?

LÉA : Ben… si tout se passe bien… je me sens conne de t’en parler, mais…

ADÈLE : Quoi ?

LÉA : Tu devines pas ? On est quand ?

ADÈLE : Quand… quand ? Tu veux dire cette nuit !

LÉA : La nuit de l’équinoxe, la nuit du printemps. Chuuut…

Xavier revient avec la bouteille ouverte.

XAVIER : Rosé de Provence frais juste comme il faut, ça ira ?

ADÈLE & LÉA : Oui, oui… Elles pouffent de rire.

XAVIER : Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

ADÈLE : Non, rien, fais le service. Tu as perdu Benjamin ?

XAVIER : Vous complotiez pour le scénario du mois prochain, je me trompe ?
Ce sera ton tour, Léa. Il va falloir assurer.

Nouveau fou-rire des deux femmes. Retour de Benjamin.

BENJAMIN : Pourquoi vous riez ? Vous parliez de moi ?

XAVIER : Non, c’est quand j’ai apporté le rosé.

BENJAMIN : Je vois pas le rapport.

XAVIER : Moi non plus.

Xavier distribue les verres.

ADÈLE : Au printemps, à un avenir radieux, et joyeux Noël !

BENJAMIN : À la vie, à l’amour.

XAVIER : À la chute du capitalisme.

LÉA : À nous, au monde, et… buvons !

Ils trinquent et boivent.

LÉA : Il n’est pas mauvais du tout, très fruité, du parfum, du corps…

XAVIER : De la cuisse… Il mate les jambes de Léa.

LÉA : Xav, ne profite pas de toutes les occasions, s’il te plaît, c’est fatiguant à la fin…

BENJAMIN : Le mois dernier, Xavier, t’étais encore au fond de ta grotte, pas moyen de t’activer les neurones. Alors qu’aujourd’hui, on ne te tient plus.

ADÈLE : Et nous avions été obligés de remanier le canevas au moins deux ou trois fois avant que ça tourne à peu près rond. Tu te souviens ?

XAVIER : Sûr qu’il est plus facile de découvrir un assassin que de faire sauter la tour Eiffel en plein milieu de l’invasion des troupes chinoises. Comment voulais-tu qu’on arrive au bout. Un vrai alambic ton truc !

BENJAMIN : Je maintiens que c’était jouable et qu’il était très possible de faire péter la tour Eiffel. Il suffit de te construire ton histoire dans ta tête, de trouver tes motivations, de faire vivre ton personnage en situation. Un peu comme un logiciel de simulation, du virtuel au réel. Après, tu peux décoller.

XAVIER : Facile à dire…  Il suffit… Il suffit…

LÉA : À Benjamin Il a raison, une enquête policière, ça tourne autour d’un centre de gravité, non, de rotation… un axe, un pivot… tu vois ce que je veux dire ? Tout le monde a le même point de repère : le cadavre. C’est vrai que c’est beaucoup plus simple qu’un voyage spatio-temporel en compagnie d’un milliard de Chinetoques.

BENJAMIN : L’arrivée des Chinois à Paris le jour du Mardi gras, c’était un truc en or pour lui, mais non… tu as besoin de tout savoir avant. Le jeu c’est pas comme écrire un roman, c’est du “direct live”, tu ne sais pas où les autres vont te mener. Il faut être en permanence prêt à tout.

XAVIER : C’est chaque fois la même rengaine, bon, je ne suis pas comédien, c’est dit. Pour ce qui est des Chinois, excuse-moi mais ça fait un moment qu’ils sont passés à l’économie de marché. Alors ton péril jaune paléo-communiste à la sauce Mao, dans le genre ressucé…

LÉA : Monsieur est anarchiste ! À Benjamin Tu sais bien… les grands idéaux, l’autogestion, la responsabilité individuelle, le partage des richesses…
À Xavier Mais si l’avenir n’est ni à l’Est, ni à l’Ouest ? Où est-il ?

XAVIER : Au Sud. C’est évident.

BENJAMIN : À condition qu’il ne crève ni de faim, ni du sida, ni de guerre civile, sans parler d’ébola et de la désertification.

LÉA : J’y suis ! Les aborigènes d’Australie débarquent en jouant du didjiridu, l’arme magique du Pacifique.

XAVIER : Qu’est-ce que vous avez tous après moi ce soir ?

ADÈLE : Quoi ? Elle a raison, les aborigènes, c’est un bon point de départ pour le mois d’avril. J’ai un CD de didjiridu. J’en ai un autre de musique pygmée. Il nous manque un chaman mongol et son tambour et des chants de sorciers amérindiens. En quadriphonie, ce sera irrésistible.

LÉA : Adèle, je t’adore ! Les méchants vaincus par la musique, comme dans “Mars attaque”. L’avènement d’un monde nouveau guidé par les sons venant du fond des âges.

ADÈLE : Les opposants combattraient avec des mobylettes, des aspirateurs et des tondeuses à gazon.

BENJAMIN : Tu oublies les moines tibétains et le bruit des marteaux-piqueurs.

XAVIER : Ce sera une superproduction métaphysique. Les empires médiatico-commercials Pour la rime avec ancestarles . vaincus par les ondes ancestrales. La revanche des esprits sur le matérialisme militaro-monétaire. La /…

BENJAMIN : …victoire en chantant ! Alicia tu… Léa, tu as pris des notes, j’espère ?

Nouveau fou-rire.

LÉA : C’est bon, Captain Peter, tout est enregistré. Je vais vous concocter un de ces gloubi-boulga à la sauce multimédia, vous m’en direz des nouvelles !

BENJAMIN : Vous vous rendez compte que ce soir nous avons tenu presque deux heures non stop.

LÉA : Ouaouuuu ! Et quelles heures sont-elles ?

BENJAMIN : Vingt-trois et quarante-cinq minutes.

XAVIER : Il est printemps moins le quart.

BENJAMIN : À printemps plus une, nous filons dans les étoiles.

XAVIER : Y a rien qui presse, il faut boire le vin quand il est tiré.

ADÈLE : Et le diable par la queue…

Nouveau fou-rire des deux femmes.

XAVIER : Bon, je crois que pour ces deux-là, la dose prescrite est atteinte.
Vous avez des projets pour les vacances de Pâques ?

BENJAMIN : Non, rien de précis pour l’instant.

XAVIER : Maintenant que tu es titularisé, tu ne peux plus nous faire le coup du mec débordé, qui ne peut pas prendre de vacances, et patati et patata.

LÉA : Je me ferais bien une petite croisière en voilier, dans les îles…

ADÈLE : Pas mal… Et nous, quels sont nos projets… de vacances ?

XAVIER : (…) Quand j’aurais les moyens de m’acheter un ordinateur portable… et tu sais bien que je n’ai pas le pied marin.

ADÈLE : C’est cela oui… la stratégie de la fuite à reculons.

XAVIER : Un, je ne suis pas une langouste. Deux, au moins je ne risque pas d’être pris par derrière.

LÉA : Houuuu ! Avis de tempête force vingt-deux. Je sens que ça dégénère. Benjamin, est-il printemps ?

BENJAMIN : Moins deux, mon amour.

LÉA : Dans trois, on s’envole.

ADÈLE : Bon voyage, mes petits pigeons, ne vous perdez pas dans la nuit.

BENJAMIN : J’ai ma boussole… Fée Clochette, es-tu prête ?

LÉA : Parée, mon prince.

Ils s’habillent, se disent au revoir, se font la bise. Benjamin et Léa s’en vont.


Scène 3

Adèle — Xavier

Ambiance plus intimiste, fin de soirée à deux.

XAVIER : Un petit coup avant d’aller au dodo ?

ADÈLE : Non… on va finir pétés mon grand. Viens (…) C’est drôle, des soirs comme celui-là sont vraiment bons, ce petit vent de printemps dans la tête, je me sens super bien. Regard pétillant sur Xavier.

XAVIER : Vent frais, petit vin frais, petit câlin, jusqu’au matin, tsoin tsoin tsoin… Qu’est-ce que tu dis de mon programme fin de soirée ?

ADÈLE : Y a pas à zaper, ça me va au poil. (…)
On a l’air un peu de vieux cons, non, à jouer nos petites pièces, entre nous, le troisième samedi du mois ? (…) Tu ne trouves pas ?

XAVIER : Tu oublies que c’est toi et Benjamin qui nous avez transmis le virus. Vous étiez enragés en rentrant de ce fameux stage. Et si mes infos sont exactes, tu ne t’en sers toujours pas dans ton boulot.

ADÈLE : Tes infos commencent à dater mon chéri. (…) Tu en connais d’autres comme nous ?

XAVIER : Qu’importe, tant qu’on y prend du plaisir… c’est toujours mieux et plus original que la belote ou les petits chevaux ! (…) En buvant de la camomille, tu nous imagines ? Là, oui, il y aurait du souci à se faire.

ADÈLE : Tu as raison. Quand même… de vraies vacances… ça ne coûterait pas si cher.  

XAVIER : Si tu le dis…

ADÈLE : C’est tout vu, je te ferais faire de l’exercice, de la marche, tous les grands écrivains adoraient la marche à pied. Ils disaient que c’est bon pour l’inspiration.

XAVIER : Je sais, je ne suis pas grand… et peu d’écrivains adorent marcher sur les mains… Et je n’ai pas de chaussures.

ADÈLE : La mauvaise foi ! Je ne te parle pas de cirque, ni d’un trek au Népal, mais de s’oxygéner, tout, la tête, les poumons… le foie, puisqu’on en parle.

XAVIER : Le nez et la bite au vent… Tu vises le tableau ?

ADÈLE : Très bien, oui… de l’air, de l’air… (…) tu sais… ?

XAVIER : Quoi ?

ADÈLE : Léa… elle m’a dit que Benjamin était d’accord pour avoir un enfant. Quand ils auront un bébé…

XAVIER : Et allez donc ! Elle te l’a dit ce soir ?

ADÈLE : Oui, tout à l’heure, quand nous étions seules.

XAVIER : C’était couru d’avance, le garçon, la fille, une bonne assurance-vie, et… attendre sereinement la retraite.

ADÈLE : T’es toujours aussi nul. (…) Et puis nous ne sommes pas si vieux, nous deux… Il y a parfois des nuits magiques, de celles où tout peut arriver… (…)  
Et abracadabra !

XAVIER : Mettre au monde un gamin dans ce merdier, c’est pas un cadeau.  Il finira asphyxié par la pollution ou esclave du “mondial power”. Dans le meilleur des cas, il bouffera des MacDos en buvant du Coca. Joyeuses perspectives.

ADÈLE : Et ta révolution, qui est-ce qui va la faire, hein ? Et si c’est toi qui la fais, qui c’est qui en profitera ?

XAVIER : Bon sang de perlinpinpin, je sens que le programme s’allonge. Sauve qui peut ! Les femmes, les femmes, et encore les femmes d’abord, et vive le new Baby Booom ! Allez zou, le “der des der” avant de larguer les amarres, et hop !


Scène 4

Xavier — Adèle — Cathy

Cathy fait irruption dans la pièce, l’air fatiguée et désappointée.

CATHY : B’soir. Elle s’affale dans le canapé.

XAVIER : Bigre, notre sainte Bernarde préférée qui joue les somnambulettes.

ADÈLE : Bonsoir Cathy, tu n’as pas l’air dans tes raquettes.

XAVIER : Veux-tu le secours d’un petit coup de rosé populaire ?

CATHY : Pouffff, t’es toujours aussi drôle, Xav. Mais fais gaffe, vieux, si un jour Adèle te plaque, tu seras peut-être bien content de venir la bouffer, ma soupe.

XAVIER : T’as encore passé ta journée à charger des sacs de riz ?

CATHY : Laisse tomber… C’est la Bérésina là-haut, faut que vous m’aidiez !

ADÈLE : Un problème avec Larissa ?

CATHY : Elle s’est enfermée dans le frigo. Elle refuse d’en sortir. Elle dit qu’elle veut hiberner jusqu’en l’an 3000.

XAVIER : Déjà que t’es assistante sociale à plein temps, tu te ramènes du boulot à domicile. T’as pas un peu l’impression de faire des heures sup ?

ADÈLE : Lâche-la cinq minutes. Allez, Cathy, raconte-nous. Dans le  frigo, c’est ça que tu as dit ?

CATHY : Oui, à l’intérieur. Elle a tout foutu en l’air et elle est entrée dedans, elle a claqué la porte et pas moyen de la faire bouger.

XAVIER : J’y crois pas ! Elle est vraiment géniale, cette petite.

ADÈLE : Elle était dans quel état ?

CATHY : Ben, on était en train de boire un coup pour se remonter le moral.

ADÈLE : Belle réussite. Elle avait rien pris d’autre ?

CATHY : (…) Si, elle avait gobé une pilule d’ecsta.

ADÈLE : Ben voyons !

XAVIER  : Je me disais aussi.

ADÈLE : Elle y est depuis combien de temps ?

CATHY : Je sais plus, on discutait du troisième millénaire, elle est allée à la cuisine, elle ne revenait pas… j’suis allée voir, c’était le bazar et elle était dedans. J’ai essayé de discuter, de la tirer, rien à faire, elle veut pas. Elle dit qu’aux États-Unis y a plein de gens dans des chambres froides.

ADÈLE : Okay, pas de panique. On monte avec toi, on la sort illico, une bonne douche bien chaude, et hop, dans les plumes.

Adèle se lève et entraîne Cathy…  

XAVIER  : Attendez-moi !

Xavier suit.

Noir.

suite sur demande… yve.bressande@free.fr

© yve bressande / BLANKAS POÉSIE - TRIVELIN THÉÂTRE décembre 1997


“Printemps plus un !” est une comédie de situation, ce ne sont ni le texte (en tant qu’objet littéraire), ni les personnages, stéréotypés (Bel-inconnu, Voisine, Sauvageonne, etc.) qui sont moteurs du jeu.
C’est l'enchaînement des situations / rebondissements (la fin du jeu, l’annonce, la panne, l’apparition, etc.), qui entraîne vers la chute finale.
Le jeu ne doit à aucun moment tomber dans le psychologisme, ni dans le drame social. Il faut comprendre et jouer les situations, extérioriser le texte et les idées. Les personnages en eux-même sont secondaires. Il n’y a pas d’enjeu de pouvoir entre eux. Ils se connaissent, ils sont bien ensemble, et peut-être jouent-ils à se donner le grand frisson.

 Nous sommes dans l’esprit du théâtre de tréteaux, de la farce, de la Comedia dell’arte, du conte de fée, du jeu dramatique enfantin. C’est un bouquet de feu d’artifice qui dure une heure ! Un fil tendu entre le début et la fin, avec une seule et unique intention, jouer et s’amuser ! L’ambiance est festive, c’est l’équinoxe de printemps. La sève remonte, c’est une nuit de renaissance, de changements, de grande marée, du “Tout est possible”. Et si vous voulez, en plus c’est la pleine lune.
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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 12:08

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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 12:02
Le début  à la rubrique Textes / Roman

                    Quinze août toujours, fin de matinée, temps couvert et lourd. La météo annonce des orages. Nathalie est d’astreinte à la rédaction pour l’improbable apparition du curé d’Ars en string en croupe de Louis XIV sur la place Bellecour.
Dans les bureaux déserts de La Traboule, elle est affalée sur un divan jaune sale, un verre posé par terre à côté du téléphone, elle sirote de temps en temps en faisant tinter les glaçons, elle est en train de lire le nouveau roman de Catherine Fradier.
Au loin, le tonnerre roule gravement. Elle imagine ceux qui à cette heure se font tranquillement bronzer sur une plage de sable fin, prennent l’apéro, mangent des glaces à la pistache, alors qu’elle est là à attendre qu’il se passe quelque chose le jour où il ne se passe jamais rien.


        Au même instant, banlieue ouest, les Monts-d’Or, verdure et belles demeures. Pierre-Nicolas, yeux rouges planqués derrière ses lunettes noires, un pansement sur le pif, un autre au-dessus de l’arcade gauche, le tout enflé. Il pilote une Aronde gris-bleuté qui ne passe pas vraiment inaperçue.
Il s’est traîné chez Jean-Paul sur le coup de midi, encore bien éméché, un mal de crâne à tailler au marteau-piqueur. Chez Diogène, ils ont continué de picoler pour se remonter le moral et se venger de cette société pourrie. Bref, retour en chatimini chez Irène vers cinq heures du mat’, fins bourrés, pas en état de… tant pis, ils ont ronflé de conserve. Il doit son réveil à un camion de pompiers bloqué sous la fenêtre ouverte de la chambre. Il a laissé Irène dans les bras de ce veinard de Morphée.
Il sillonne des rues bordées de hauts murs. Pas un chat.
    On se croirait dans un labyrinthe, moi dans le rôle du rat de laboratoire. Quelle sera ma récompense si je trouve… quoi ?


        Un vol de pigeon à l’est, quais de Saône, en aval de l’île Barbe, un écrin vert et or posé au milieu de l’eau, tout près de l’impasse des Écluses. Une petite maison un peu vieillotte, façade décrépite, un étage. Aucun signe particulier. Devant l’entrée, il n'y a pas de nom sur la porte, un Kangoo de location stationne.
Les volets du rez-de-chaussée sont clos. Au premier, une fenêtre ouverte, de la musique s’échappe. C'est une chambre, tapissée d’un papier à grosses fleurs, dominante vieux rose, les couleurs ont passé, la mode aussi, quoique. Sur une table est posée un poste de radio, une chaise paillée, un lit. Sur le lit, un homme jeune, grand, à moins que ce ne soit le lit qui soit d’un modèle réduit, les pieds dépassent du cadre. Il somnole, les yeux mi-clos, des gouttes de sueur glissent sur ses tempes. Le bouton de sa ceinture est défait. Il attrape un verre aux trois quarts vide en attente sur le chevet. Par la fenêtre il contemple le ciel qui devient de plus en plus sombre, menaçant.
Il s’assoit, vide son verre en grimaçant, ce n’est pas de l’eau. Il se lève, au passage il baisse le son, et sort. Couloir obscur, odeurs de renfermé, de vieille poussière, de champignons. L’homme descend un escalier de bois aux marches arthritiques. En bas, dans la cuisine une ampoule pendue au plafond dispense une faible lumière. Sur un réchaud de camping, une gamelle, il soulève le couvercle et renifle.


        Au volant de sa pièce de musée millésimée 1961, Pierre-Nicolas remonte le chemin de Collonges à petite vitesse. Il passe à plusieurs reprises devant le portail fermé des Chamrave. L’adresse, il l’a eue hier par Nath’ qui connaît quelqu’un qui…
Rien ne bouge. Il s’éloigne. Difficile de rester en planque sans se faire repérer. Les habitants du coin ont le 17 facile.
— Allez ! Je me paie un dernier tour de manège, si des fois que… Que rien du tout, oui. Saloperie de quartier ! Tous enfermés dans leurs jolies maisons forteresses. C’est comme l’argenterie de grand-mère, on ne la sort que pour les grandes occases.
Bondissant comme le tigre sur sa proie, un bolide entre par la gauche dans son champ de vision. Pierre-Nic’ braque à mort, rien à faire pour l’éviter, trop vite, beaucoup trop vite. La vieille Aronde n’a plus les réflexes de ses vingt ans. Le choc est inévitable. Boum !
Pas de réflexe, mais une tôle à toute épreuve.
Grand coup de pied au cul, tête dans le plafond, les petites étoiles, les biceps en compote, le volant en est tout retourné. Le pilote essaie de comprendre et par là même de reprendre ses esprits qui dansent la Carmagnole.
Un visage apparaît au travers du pare-brise, et des lèvres qui s’agitent. Il descend la vitre. On lui parle :
— Ça va ? Vous n’êtes pas blessé ?
— Heu… non, je ne crois pas.
Il bouge, tout semble répondre, pas de gros bobos. Il tente d’ouvrir la portière, sans résultat, elle est coincée, celle du côté passager cède, il descend, les jambes tremblantes, une vague nausée, les yeux qui piquent. Il prend appui sur le capot pour ne pas se retrouver par terre.
    Dans quel merdier tu t’es encore foutu ? Tu peux pas rester tranquille dans ton coin, il faut que tu cherches les emmerdes. Ma tête, j’ai mal, je sens que je vais dégueuler. Non, il faut pas, avec ce que j’ai dans l’estomac. Si jamais ils me font souffler dans le ballon, je suis dans le caca, mais alors profond. Décontracte-toi, respire doucement, voilà, c’est bien.
Des badauds s’approchent, déjà un petit attroupement. On se demande d’où est-ce qu’ils sortent. Tous les déserts c’est pareil. L’autre a l’air mal en point coincé derrière son volant, inconscient. Les commentaires fusent : Il a grillé la priorité, il devait rouler vite, la police ne va pas tarder. Vous êtes sûr que ça va aller ?
Pierre-Nicolas frissonne, s’ébroue, ses idées reprennent doucement leur place initiale. Il cligne des yeux, cherche ses lunettes, sa tête chavire, il se tâte, découvre une bosse de plus, il a mal partout.
Il regarde mieux l’autre véhicule. Ce qu’il voit, une Ford Sierra bleue, le groin complètement enfoncé, façon bouledogue, celui de son chauffeur saigne.
Chant des sirènes, voiture de police, ambulance du S.A.M.U.


        Dans la cuisine, l’homme s’est resservi un verre, il est assis sous la lampe, les yeux fixés sur la casserole. Le couvercle tressaute de temps en temps. Un peu de vapeur s’échappe accompagnée d’une odeur d’herbes de Provence.
Un œil sur sa montre, midi quarante-cinq. Il semble satisfait. Il avale sec ce qui reste de vodka, se lève, retourne vers le réchaud, éteint le gaz, prend une assiette et une cuillère, sert une bonne ration de ratatouille, pose l’assiette sur un plateau. Il coupe un morceau de pain, remplit un verre d’eau.
Il remonte à l’étage avec le plateau, ouvre une porte. Pièce sombre, volets fermés, pas de meuble. D’une main, il reboutonne son pantalon.
— Ça sent le vieux cagibi là-dedans, faudrait aérer, faire des courants d’air. Qu’est-ce que tu en penses ?
Assise par terre, dos au mur, une jeune femme, légèrement vêtue, les pieds entravés par des menottes, un large morceau de ruban adhésif sur la bouche, mains derrière le dos, elles aussi tenues par des menottes. La chaîne passe par un anneau de fer fixé dans le mur, immobilisant la prisonnière.
— Salut, poupée. C’est l’heure de la récré. Je t’ai mijoté un de ces petits plats, tu m’en diras des nouvelles, une vraie merveille. Ma mère voulait que je devienne cuistot. Ça l'a pas fait. J’ai quand même gardé la main pour la tambouille.
Réflexe conditionné, elle conjugue l’imparfait du subjonctif.
    Que je devinsse, que tu devinsses, qu’il devînt cuistot.
L’homme pose le plateau par terre, s’agenouille près d’elle, fouille dans une poche de son pantalon et en sort un paquet de mouchoirs en papier, il en prend un et lui éponge le visage. Elle ne bouge pas, elle garde les yeux clos, elle est calme en apparence.
— Ne fais pas cette tête, je t’ai préparé une ratatouille d’enfer, je te dis que t’en as jamais mangé de la pareille, c’est ma spécialité. Attention !
D’un coup sec, il arrache l’adhésif.
Bouche immensément ouverte, appel d’air, la tête qui cogne contre le mur, deux larmes coulent le long des joues.
— Je sais, ce n’est pas très agréable, mais ne dis pas que ça t’a fait mal, il ne colle presque plus.
Il s’assoit tout près d’elle, il prend la cuillère, pêche quelques légumes, souffle pour refroidir et la présente devant la bouche fermée.
— Allez ! Ne fais pas la bête. Déjà hier tu n’as presque rien mangé, tu n’es déjà pas épaisse, je suis sûr que tu as maigri. Fais un effort !
Le geôlier est visiblement mal à l’aise, peu habitué à ce genre de responsabilité.
— Mange. Je n’ai pas envie que tu me claques dans les mains, merde, ce n’est pas évident comme boulot, alors si tout le monde n’y met pas du sien, on n’en sortira pas.
Elle reste inerte, toujours les yeux fermés.
— Tu veux boire d’abord ?
Il prend le verre d’eau, l’approche des lèvres de sa captive, elles s’entrouvrent et absorbent avidement le liquide.
— Tu vois, ce n’est pas bien difficile. Je t’en rapporterai un autre tout à l’heure.
Une nouvelle fois il présente la cuillère de ratatouille, la tête se détourne.
— Vraiment, tu ne veux pas ? Écoute, je ne vais pas y passer la journée. Je ne te détacherai pas, à moins que tu ne sois plus gentille. Alors, c’est oui ou c’est non ?
Pas de réponse. Yeux entrouverts, regard trouble posé sur lui. Elle semble à bout de force, de nerfs, prête à lâcher prise. Des mots dans sa tête, des images floues, gros grains, film super huit.
    Finir, finir enfin, en finir tout de suite, fondre, se fondre, me fondre, disparaître, juste une flaque oubliée, vapeur, arc-en-ciel, puis plus rien. Rien que du noir.
Ses yeux se referment, léger soupir, la tête roule de côté, apparence du sommeil. L’homme se relève, il n’insiste pas, il sort avec le plateau. Maria ouvre les yeux et respire profondément, il ne lui a pas remis le bâillon.

            L’orage passe sans craquer, le soleil revient, la chaleur escalade les degrés sur l’échelle de mercure. Nathalie enrage et traite les nuages de sociaux-traîtres. Elle leur adresse une prière : Pourriez-vous nous concocter une belle petite tempête avec inondation et routes coupées ! Un truc sympa, un bon prétexte pour sortir, et puis ça rafraîchirait l’atmosphère.
Les nuages restent sourds à ses appels. En attendant, elle allume la radio, un petit tour de France Info, pure conscience professionnelle. Elle ouvre le frigo, nouvelle rasade d’eau gazeuse légèrement citronnée, un œil par la fenêtre, ni chien ni chat ni rat ni fromage.
    J’espère que l’autre zigoto n’est pas en train de pioncer comme un loir.
Retour à la case départ en compagnie de son polar.


            Pierre-Nicolas reprend peu à peu des couleurs. Un homme en blanc est venu le voir, il voulait l’emmener à l’hosto. Il ne s'est pas laissé faire.
Le conducteur de la Ford est toujours dans les pommes. Les infirmiers du S.A.M.U. le sortent avec d’infinies précautions et le déposent sur un brancard-coquille. Pierre-Nicolas suit la scène. Un policier s’approche de la civière l’air intrigué, il soulève le pan de la veste, moment de suspense, le flic extirpe un pistolet de bonne taille, murmures alentours, petite bousculade. Le blessé est embarqué dans l’ambulance, elle démarre aussitôt, suivie de près par un fourgon de police.
La cervelle battue, Pierre-Nicolas émerge doucement. Les pièces d’un mécano voltigent et s’assemblent devant ses yeux, petits papillons agités.
    Nathalie, couleur bleue, Ford Sierra, arme, rue des parents de Maria.
Un agent le sort de ses pensées.
— Dites, cette voiture n’est pas à vous !
Il doit expliquer qu’un ami la lui a prêtée.
L’agent le questionne sur les circonstances de l’accident.
Pierre-Nicolas raconte que la Ford allait beaucoup trop vite et qu’il n’a rien pu faire. Il en profite pour demander s’il est possible de se laver les mains et de se débarbouiller quelque part. Il semble qu’il n’y ait pas un café ouvert à des kilomètres à la ronde.
La réponse tombe comme le couperet de la vierge, non, de la veuve : Quinze août !


            Maria suffoque dans la chambre sombre, effet de serre. Mirage ou réalité elle entend couler de l’eau, elle la sent toute proche.
    Je n’en peux plus, je vais mourir, je veux mourir. Pourquoi est-ce qu’ils me gardent, ils devraient me tuer ou bien me relâcher. Si j’essaie de crier… Non, ce serait pire après. Dire que je pourrais être sur une plage ; manger des glaces, sortir le soir, danser, draguer les mecs et les filles, ne prendre que du plaisir. Je suis vraiment la reine des connes.
Elle attend, attend que son gardien revienne et l’autorise à se soulager. Elle est pleine de courbatures, ses poignets et ses chevilles sont meurtries. Assise à même le sol, elle ne peut que se coucher sur le côté.
    Cette chaleur ! Je suis moite, collante, presque une semaine sans me laver ni me changer. Je pue comme une bête en cage. S’il attend encore, je vais me faire dessus.
Elle essaie de se redresser un peu pour soulager ses bras.
Pourquoi suis-je tombée amoureuse de Pauline ? Avant, je n’avais jamais fait l’amour avec une femme. Depuis un an, je n’ai pas touché un homme, même pas eu envie. Et l’autre soir… Toujours être obligée de se battre, avec son ventre, avec son cul, avec sa tête. M’asseoir sur une pompe. Me faire aspirer tout ce que j’ai là-dedans !
Ce type joue à la poupée avec moi. Il ne va tout de même pas me laver le cul. Plus la force de…


            La foule s’est dispersée comme elle était apparue. Ne reste que les deux voitures et la police.
Trouver un téléphone ! et un endroit pour pisser, j’en peux plus…
Pierre Nicolas s’éloigne de quelques mètres, trouve un renfoncement et se soulage.
Hep monsieur !
Le policier est juste derrière lui, il récite sa leçon : Règlement général de police sur l'hygiène publique, art. 91, « Il est interdit à quiconque d'uriner sur la voie publique et contre les propriétés riveraines bâties ». En cas d'infraction cela va du simple rappel à l'ordre à l'amende de 2ème classe, le montant peut varier en fonction du lieu et atteindre 150 euros.
Le contrevenant ne s’interrompt pas pour autant, le mal est fait, alors un peu plus un peu moins de pisse…
Excusez-moi monsieur l’agent.
Il se retourne en renfournant son attirail.
— Je n’en pouvais vraiment plus, après l’accident, c’est une réaction normale, non ? Et trouver une pissotière ou un rade ouvert dans ce quartier c’est impossible. Il faudrait aussi que je puisse téléphoner.
Le représentant de l’ordre ne bouge pas d’un cil et termine sa récitation.
— Je pourrais requalifier l’infraction en délit d'exhibition sexuelle, passible d’une amende et d’un an d’emprisonnement. Sans parler du fichage STIC.
Pierre-Niclas se demande s’il a affaire à un pisse froid ou un toqué. Il tente une pointe d’humour.
— À quoi servent ces kilomètres de murs si ont peut même pas pisser contre ? Et pour le téléphone, vous n’en auriez pas un ? Juste deux coups de fils.
L’agent se déride. Il en restera au simple rappel à l'ordre. Pour ce qui est du téléphone, il a repéré une cabine un peu plus haut en direction de l’église.
— Mais ne tardez pas trop, les dépanneuses vont arriver et il y aura des papiers à signer.
Pierre-Nicolas remercie et s’éloigne.
    D’abord Jean-Paul, j’espère qu’il ne fera pas trop la gueule pour l’Aronde et que son assurance est pas bidon.
Deuxième appel en direction de La Traboule.
Allô !
Elle a décroché à la première sonnerie.
— Salut. J’ai un petit problème et du nouveau pour toi. Je peux pas parler trop longtemps, je t’expliquerai.
— Où es-tu ?
— Pas d’importance. Écoute-moi. J’ai cabossé, un accident avec une Ford Sierra bleue. Tu as compris ?
— Hein ! Qu’est-ce que tu racontes ?
— Fais pas ta débile. Je te donne l’immatriculation.
— Attends, je note.
— C’est bon ? Le type est à l’hosto, par le S.A.M.U.,  il avait un flingue, donc les flics sont sur le coup. Faut absolument que tu te démerdes pour en savoir plus, via l’hôpital ou la police. Bien reçu ?
— Cinq sur cinq, je fonce. Rendez-vous chez moi vers dix-huit, dix-neuf.
— Affirmatif. Bisous.
Dans la rue, Pierre-Nicolas redescend vers le lieu de l’accident, un camion plateau est en train de dégager les voitures.
Pourvu que Nathalie se débrouille et que Jean-Paul ne mette pas trois plombes pour arriver.


            Nathalie fait phosphorer sa matière grise. Il lui faut trouver le moyen de savoir sans lâcher de lest, ni avoir l’air trop au courant. Elle se dit que si le capitaine Dorno est de service, elle peut tenter un coup, il lui suffira de rester crédible et de ne pas s’éterniser.
Elle compose le numéro, l’officier semble ravi de l’entendre, il lui demande immédiatement si elle a de nouvelles informations.
— Rien de sûr. Je vous explique. Une personne qui habite aux Pâquerettes m’a dit avoir remarqué un véhicule suspect le jour où la fille a été jetée dans le fleuve. Il s’agit d’une voiture bleue. Il y avait selon ce témoin deux hommes à bord, il ne les a pas bien vus.
Le capitaine aimerait un peu plus de précision, à minima une description des deux hommes.
— Attendez, je n’ai pas fini. Il y a beaucoup plus intéressant. Cette personne m’a contactée voici à peine un quart d’heure, je lui avais laissé mes coordonnées. Il dit avoir revu la voiture ce matin même, elle rôdait autour des Pâquerettes. Il a relevé le numéro d’immatriculation.
Le policier note et dit qu’il va s’en occuper à l’instant. Qu’avec ça il devrait avancer rapidement.
— Hé ! Vous me tiendrez au courant. De votre côté, rien de neuf au sujet de la disparue ?
— Non. Pas la moindre trace. La famille ne sait rien. Ils paraissent sincères.
— Elle en a donc une, personne ne semblait savoir d’où elle sortait.
Il évoque la bonne bourgeoisie locale, famille sans histoire. En revanche, il aimerait bien connaître le nom de l’informateur ?
Nathalie s’était un peu laisser endormir, elle bafouille.
— Ben… je lui ai promis de…
Le ton se fait plus autoritaire.
— Écoutez-moi ! Cette affaire est du ressort de la police, ce n’est pas un jeu de piste. Une femme est morte, une autre a disparu, ne l’oubliez pas. Nous devons interroger tous les témoins, le vôtre en sait sans doute beaucoup plus qu’il ne vous en a dit.
— En fait, euuuh, il se fait appeler Kanto, il habite une des tours. Là-bas, tout le monde le connaît.
— Bien sûr ! J’espère que ce n’est pas une blague, vous pourriez vous en mordre les doigts. Je ne suis pas méchant, mais il faut savoir ne pas abuser. Message reçu ?
— Trois sur cinq. Il y a un peu de friture sur la ligne.
— C’est ça, moquez-vous, attention mademoiselle la journaliste, n’outrepassez pas. Allez, bonne fin de journée et n’hésitez pas à me rappeler si besoin.
Elle pose son téléphone, elle a les mains moites, elle se lève et marche dans la pièce pour se décontracter.
    Ouf ! Ce qu’il est collant. Pierre-Nicolas est grillé comme une sardine portugaise. Si Dorno connaît les Chamrave, il fera immédiatement la relation avec l’accident et remontera jusqu’à lui. Ça me laisse un peu de temps pour me rencarder sur ce fumier de… Elle repense à son « bonbon rose » écorché vif. Pierre-Nicolas t’a vengé, il aura au moins servi à quelque chose. Pourvu que le chauffeur sache pour Maria.


            Dans la maison des bords de Saône. Peut-être une petite heure plus tard. L’homme remonte vers la chambre en sifflotant, il ouvre la porte et s’annonce.
— C’est moi !
Il s’arrête et rigole. Son nez et ses pommettes affichent un beau rouge, sans doute du à la chaleur orageuse.
— Tu dois me prendre pour un idiot. Qui que ça pourrait être d’autre ? En tout cas, tu as eu tort de ne rien manger, ma ratatouille était fameuse.
Maria ne réagit pas. Ses yeux brillent, étrange éclat proche de celui de la folie. Sans doute la fièvre.
Le geôlier s’agenouille à coté d’elle et porte un verre d’eau au bord des lèvres sèches et toutes craquelées, il l’incline. Maria lape comme une petite chatte, à peine la force d’avaler. Le temps de reprendre son souffle, elle en boit un deuxième, il est content, l’encourage, lui donne des nouvelles du monde, du temps qu’il fait. Il faut dire que son rôle se limite à être là, seul. Personne n’est venu le ravitailler, il est en manque de conversation, de clopes et de vodka. Il ressort, revient, un seau hygiénique en plastique jaune pendu à son bras, de la poche de son pantalon dépasse une poignée de P.Q. Il fait sonner à l’oreille de Maria le trousseau de petites clefs. Il ouvre les menottes qui retiennent les mains.
Maria lève les yeux vers lui, essaie de s’étirer, une grimace déforme son visage. Une première tentative pour se redresser échoue, ses articulations lui font mal, elle gémit, autant à cause de la douleur que dans l’espoir de l’apitoyer.
Il se penche, la prend sous les aisselles et la met debout. Il commente.
— Tu ne pèses pas plus qu’un moineau, si ça continue il va falloir que je te nourrisse à la petite cuillère ou au biberon.
La situation semble l’amuser, l’exciter, surtout quand Maria soulève sa jupe, descend sa culotte et s'assoit sur le seau. Presque aussitôt, le bruit du jet de l’urine contre la paroi.
Odeur forte qui monte.
Il lui tend quelques feuilles. Maria passe le papier entre ses cuisses. Il est derrière elle, faisant office de dossier. Entre ses jambes à lui, une bosse dure, il bande à faire péter la fermeture de son jean. Des gouttes de transpiration coulent sur son visage.
Faiblement Maria parle. La voix est basse, presque inaudible.
— Je vais avoir mes règles. Vous ne pourriez pas me donner de l’eau pour me laver ?
Lui ne bouge pas, il regarde vers le bas, la chevelure noire qui repose entre ses cuisses. Il sent monter le plaisir.
—Veux-tu que je t’achète des tampons ou des serviettes ? Quelle marque préfères-tu ?
De ses deux mains, il prend la tête de Maria et l’appuie fort contre son membre en érection. Là, immobile, silencieux, il jouit.
Comme secouée par une décharge électrique, elle se redresse, debout, droite. Sa petite culotte autour de ses chevilles, elle se tient raide, immobile, tournant le dos à l’homme.
Il la contourne, se baisse, les yeux et les narines dilatées au niveau du sexe de Maria. Il remonte le slip, légère dentelle, ses avant-bras soulèvent la jupe, dévoilant le haut des cuisses et l’ombre de la toison. Ses gestes ne sont pas très assurées, sa respiration est profonde, ses yeux se troublent. Il se relève, l’aide à reprendre sa place, boucle les menottes, sans les fixer à l’anneau du mur. Il se détourne. Une tache humide s’élargit peu à peu au niveau de son entre jambe.
Il s’éloigne, le seau à la main. Elle, muette, le suit des yeux. Avant de refermer la porte, temps de suspension, sans la regarder, il jette par-dessus son épaule :
— Je m’appelle Marc.
La porte se referme. Maria, prise de spasmes, éclate en sanglots. Les nerfs lâchent, le bout du rouleau, comme une malade en plein délire.
Ce mec est fou, je ne tiendrai pas un jour de plus, je vais crever, ce n’est pas possible, plus possible, faites que ça finisse. En finir, finir, finir…
Elle se laisse aller, étendue sur le dos.
    Des vagues, du vent, courir, courir comme une petite fille après sa balle. Et Pauline, est-ce qu’elle est… Pti-Péni, je lui avais promis… Le parc, l’ombre du grand marronnier, papa. J’ai chaud, trop chaud.
— Marc ! Marc ! Maaaarc !


            L’Aronde grimpe lentement sur la plate-forme, le treuil imperturbable la hisse. Pierre-Nicolas suit la manœuvre, attentif. Un policier en civil le questionne sur l’âge de la voiture. Pierre-Nicolas engage la conversation, dit qu’on devrait trouver des pièces pour la remettre en état, que le copain qui la lui a prêtée est un spécialiste.
Le policier est d’accord, son beau-père en a eu une dans sa jeunesse et s’il l’avait gardée… Pierre-Nicolas l’interrompt pour savoir s’ils vont faire une enquête sur le conducteur de l’autre bagnole.
— Oui. D’ailleurs vous serez convoqué très prochainement.
— Je m’en doutais un peu. C’est pas tous les jours qu’on se fait cartonner par un dingo qui en plus se trimballe avec un flingue.
— Ça ne veut rien dire. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont des armes. S’il est convoyeur de fonds il a peut-être un permis.
— Qui est-ce qui s’occupe de ce genre d’affaires ?
— Le S.R.P.J., en ville ils sont équipés pour l’identification. Vous avez un véhicule pour vous ramener ?
C’est ce moment que choisit Jean-Paul pour entrer en scène au volant d’une mini Austin-Cooper. Il constate les dégâts, râle pour le principe. Il est un peu plus de 15 h 30. Ils décident d’aller boire un pot au Café Gnafron, quartier Saint-Georges.
Pierre-Nicolas régale en guise de dommages et intérêts. Malgré les événements il garde l’oreille aux aguets, si une canne blanche…
Après quelques bières et un sandwich maison, il se fait reconduire aux Pâquerettes.
Retour sans tambour ni trompette, mer d’huile, bouillante, à point pour la friture. Sieste.
Fidèle au poste, Fernand cuve sur le matelas.
    Si je laisse ce poivrot s’incruster, il va finir par squatter mon squat.
Il donne du pied dans le grabat, un grognement s’échappe du dormeur. Fernand renifle bruyamment, jette un œil à droite, l’autre à gauche. Il articule, la voix pâteuse :
— Tiens ! Te voilà le Pti-Péni. Ce n’est pas trop tôt ! Je t’attends depuis je ne sais plus combien de temps, ça commence à chauffer. Les poulets sont revenus, ils cherchent Maria. Y’a aussi Pauline qui veut te voir.
Pierre-Nicolas s’étonne.
— Pauline ? C’est nouveau ! Je croyais qu’on était brouillés.
— Ce matin, des types pas nets sont venus chez elle, ils lui ont parlé de toi. Je n’ai pas bien compris qui c’était. Sûr pas des cognes, ceux-là, je ne me trompe jamais.
Pti-Péni ne dit rien. Il regarde le plafond, la peinture se décolle par plaques. Un de ces quatre jeudis… Pensif, il se gratte le cul, des hommes ont parlé de lui au quartier, ils le connaissent et connaissent Pauline. Là tout de suite il ne voit pas, sauf si…
Légère surchauffe sous le crâne. Il visualise un entrelacs de bestioles pas trop sympathiques qui grouillent sur une porte. Le Lézard Bleu. Il pense également à l’agression devant le porte-pot.
Elle. Et si Elle et Pauline ? Bordel… Il faut absolument que je la retrouve. Une belle aveugle qui se promène seule, ça ne passe pas inaperçu, bon sang ! Pourvu qu’elle ne soit pas partie pour une croisière en mer de Chine.
Fernand est debout, il enfile sa veste et ses chaussures.
— Je te laisse te creuser le ciboulot, des que ça fume tu me siffles, en attendant je vais faire la tournée des popotes, des fois qu’il y ait du nouveau. Et gaffe à tes burnes, petit.
Il observe Pti-Péni de plus près et lui conseille d’éviter les miroirs et de se raser les yeux fermés. Les bosses ont gonflé, les coquards ont repris de la couleur avec le nouveau choc.
Pierre-Nicolas raconte sa virée dans les Monts-d’Or, l’accident. Fernand l’écoute avec beaucoup d’attention, maintenant tout à fait réveillé.
— Bien, bien, il faut que tu te reposes. Moi je file. Au fait, tu leur as donné quelle adresse aux flics ?
— Celle du pote qui m’hébergeait. Là-bas on me connaît et il y a une boîte aux lettres avec mon nom.
— Bien… bon réflexe. J’y vais. Fais de beaux rêves.
Une fois seul il se déshabille, s’allonge nu sur le sol, les yeux plantés dans le ciment armé. Le fil des pensées se déroule.
Fernand n’a pas l’air de se biler. Y commence à faire sacrément soif, putain de chaleur ! Pauline qui veut me voir, les anges gardiens de Blanchette à mes trousses, le mec de la Ford à l’hosto. Je donnerais… j’ai rien à donner… pour savoir ce qu’il a dans le ventre, s’il casse pas sa pipe, on saura. J’espère que Nath’… Peut-être prudent de préparer ma valise, y mettre quoi ? On ne sait jamais. Irène doit faire la gueule, je devrais au moins l'appeler.
Il ferme les yeux et se tripote en visionnant dans sa tête des adolescentes nues, à moins que ce ne soient de grosses négresses à dents blanches et poitrines gigantesques. Allez donc savoir ! Seul élément visible, une érection de tout premier ordre. Bouche ouverte, il ronfle comme un bienheureux.


            Nathalie, de retour après un saut aux urgences, black out, le type est en réanimation et toujours dans le coma.
Elle se demande ce que fait Pierre-Nicolas à cette heure ?
    Et Dorno ? Il a bien dû s'apercevoir que je lui ai raconté des salades.
Elle décide de reprendre une douche.
Pendant ce temps le capitaine régurgite et rumine la susdite salade et promet une magistrale fessée à la petite journaliste. En attendant ce plaisir, il reste sur la brèche, l’identification du chauffeur chauffard s’avère délicate, il semble que ce soit un ressortissant étranger.


            Maria, épuisée, écrasée de fatigue et de chaleur a fini par s’endormir. Marc est nerveux, à chaque bruit de moteur, il se lève et jette un œil discret par la fenêtre, visiblement, il ne voit pas venir ce qu’il attend. Le téléphone de son correspondant est en mode messagerie. Il s’énerve.
Bordel ! Mais qu’est-ce qu’il fout ? Il pourrait au moins me passer un coup de fil ! Il sait bien que je n’ai aucun autre contact. Malin de me dire de ne pas bouger, de ne pas la laisser seule une minute. Je n’ai plus rien à boire et juste le reste de la ratatouille pour ce soir. Je m’en fous, dans l’état ou elle est, elle ne se sauvera pas. J’irai au ravitaillement en fin d’aprème, et il n’a pas intérêt à faire chier.

à suivre...
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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 20:18
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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 13:07
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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 12:57
si j’étais moi
quand dans la tête de plus en plus de bruit
hurler le silence


si j’étais moi
tuer le corps
pour être bien dans la tête


si j’étais lui
finir par
ne plus oser se regarder dans une glace


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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 12:38

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                              à l'ère de l'âge métisse    le Métiss'âge


                      T'y sage, t'y pas sage, t'y touches, t'y touches pas, t'y touches à, à mes, à mes tissages, métissage, métisse sage, tisse, croise, tresse, entre entre et entre là, entrelace, trame et chaîne, nuit et jour, eau et feu, lui et elle, elle et lui, tu suis, Alban et Mélanie, tu sais, beau drap, pur fil, velours, satin, texture, garance, pastel, teinture, chanvre, ortie, piqûre, pour la vie, biaise, fronce, pas coton, peigne fin, brode, un fil, rien qu'un fil, deux fils, deux fils, le fil mère et le fil fille, mise au point, sans gène, cent gènes, mille gènes, mille milliards de gènes, loi de, oubliée, hybrides, croisements, sur la toile, improbable, tire le fil, la lisse, l'hélice, a.d.n. entre en lice, coud, découd, roule, déroule, va et vient, clac clac, clac clac, fil à fil, file, faufile, surfile, métier, cent fois sur le, Rien ne va plus , Rouge, sang perdu, Vert, un père, Bleu, perdu, sauf enfant bleu, passe, ment et rit , Chance, deuxième, roue de la, tourne, brasse, embrasse, mêle, emmêle, entremêle, mixe, malaxe, tisse, retisse, en rhizomes, en réseaux, enlacer, lier, relier, même si, si, si parfois, gêné à la langue, gêné à logo, pas logique, pas gêné, gêné à logique, chimères, se croisent, s'entrecroisent, se nouent, se dénouent, renouent, encore une, fois, Naître, à l'endroit, à l'envers, crochet, gauche droite, en découdre, maille sautée, doigts croisés, bouches criées, cousent, recousent, tissent, retissent, clic clac, t'y sage, t'y pas sage, clic clac, dans la boîte, boîte à, boîte à, couture, boîte à, secrets, boîte à, histoires, boîte à mue, à muzzzzz, à petite musique, et encore le, le fuseau fuse, le fil file, la quenouille rouille, le rouet pète, et file filette, file fillette, sur un trait, tendu, suivre la 'suivre le, le, le, là,

 

 



Yve Bressande - 2002 / 2009 Tous droits réservés
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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 09:21
Largué

La sente monte en lacets douloureux
De partir  de départ  d’exil
Celui qui profère des phrases
Quelles sont ses bannières
C’est pour cela que tu peux le suivre

Le petit garçon est pâle dans l’obscurité
Tout vient de l’obscurité
La joie même
Délicat sourcil penché sur la carte de tes sillons
Tant de visages traversés
Avec l’illusion d’y découvrir un jour
Le tracé de sa propre matière
Et la quitter jusqu’au soir suivant le jour

Près de la courbe du temps
Les mots enroulés dans d’autres filets
Des calmes constamment troués par des navires bossus

Route
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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 09:12

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Audio Vox Concept'

regroupe une suite de textes conçus et écrits pour la voix.

Mise en bouche en souffle en 3 2 1 …

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(enregistrement artisanal par l'auteur)
La version audio est parfois différente de la version texte.
La raison pourrait en être une persistance des brumes textuelles.
Les poèmes sont des plaques tectoniques, ils bougent, se choquent, s'entrechoquent, emmagasinent de l'énergie, cela produit des failles de sens, des cratères néologiques, parfois aussi des tremblements de vers, des tsunamis sémantiques…