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13 avril 2018 5 13 /04 /avril /2018 15:36

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Un, deux, trois, soleil !

 

                     Avril, ne te découvre pas... Le ciel est gris et le thermomètre fait la grève du zèle, il refuse obstinément de dépasser les 12° à l'ombre à midi, et comme il n'y a pas de soleil... nos compères, encore emmitouflés, se tassent les uns contre les autres sur leur banc favori, le dernier qui ait échappé au grand chambardement de la place. Peut-être parce qu'il est collé juste derrière les toilettes publiques ? Le modernisme arrive à grands pas, « désigne » que tout doit être, du pavé aux bonshommes en passant par le mobilier urbain. Même les arbres, eux c'est le chancre et la mineuse, exit platanes et marronniers.

Basile enroule son écharpe et remonte son col.

- Le printemps, qu'ils disent, c'est comme pour le réchauffement climatique, on l'attend de pieds fermes celui-là !

Basile s'échauffe, il n'est pas le seul, avec ses compagnons ils vident quelques bières, en attendant l'heure de l'apéro.

Benoît, tête de clown déplumé, est le rêveur de la bande,.

- T'as raison, à quand des bananiers et des perroquets sur la place, qu'on aurait qu'à se baisser pour ramasser une noix de coco.

La place est en chantier depuis plus d'un an. Les nouveaux arbres, tulipiers, tilleuls, érables, sont encore impubères et il faut chercher son petit coin à soi et le calme, sur les bords.

Alain lève les yeux au ciel.

- T'as déjà vu des noix de cocos tomber d'un bananier toi ? Et pourquoi pas des steaks d'ornithorynque ?

Michel grogne dans sa barbiche.

- Aux States y mangent des hamburgers de lion.

Ils sont quatre, comme les mousquetaires. La bande des quatre, tous assez vieux pour se souvenir encore de Mao et de madame Mao et du petit livre rouge.

Basile, Benoît, Alain et Michel, comme les cinq doigts d'une main qu'aurait été amputée du pouce, quatre manchots tempérés, qui gardent le sens de l'humour et de la vie.

Michel joue le modérateur.

- Vous n'allez pas vous chamailler pour un pet de cheval ! Qui veut un Choco à la framboise ? Ils m'ont donné ça aux Restos du cœur.

Alain fait la gueule, c'est le plus vieux du lot, septante-quatre ans et toujours droit dans ses baskets made in china.

- Moi, j'y vais pas ! C'est pour ceux qu'ont vraiment rien. Tu devrais avoir honte Michel, t'es pas pauvre, même si t'es pas riche.

Michel regarde ailleurs, n'a pas envie de se justifier. Il mord dans un Choco, il aime le sucré, un grignoteur selon la définition du nutritionniste de service, et son vice c'est les gâteaux et le chocolat, pas bon pour son diabète, ni pour ses hanches. La dernière fois qu'il a croisé une balance, elle a eu tellement peur qu'elle s'est bloquée sur cent vingt kilos.

- Tu peux parler toi, tu vis sur l'héritage de ta mère, pas de loyer et un chèque qui tombe tous les mois.

Alain se redresse, vieux hibou ombrageux, il n'aime pas qu'on évoque sa mère. Fils unique et célibataire, il a vécu avec elle jusqu'à la fin, et depuis...

- Si c'est encore pour me demander des sous tu peux repasser. Tu n'as qu'à gagner au Loto, avec tout le fric que tu dépenses en tickets perdants, tu pourrais vivre comme un pacha. C'est quand même idiot de ne jamais gagner !

Et ainsi va, de jours en jours, les mêmes, au même endroit, juste là pour ne pas être seul. Parfois ils tentent une belote ou une partie de pétanque, mais pourquoi se fatiguer, se chercher un prétexte à ne rien faire ?

La vie ne les a pas gâtés, mais ce qui attend la nouvelle génération est bien pire.

- Au moins nous, on ne verra pas la fin du monde.

Benoît regarde passer une magnifique voiture décapotable, une de luxe.

- Vous feriez quoi vous si vous gagniez le gros lot ?

Cette question fait partie des inusables, de celles qu'on pose comme on lève le coude, cent fois par jour et autant hier que demain.

Basile regarde les gros nuages gris et mornes traversés par un vol d'étourneaux.

- Si c'est vraiment le gros lot, je le partage en quatre et on part tous sur la Côte d'Azur se faire dorer les arpions.

Benoît lève sa canette.

- T'es un bon toi, au moins tu penses aux autres.

Michel marmonne.

- Oui, il y pense tellement qu'il ne nous demande même pas notre avis. Qu'est-ce que j'irais fiche sur la Côte, moi ? Rien de rien, c'est que culs pincés et m'as-tu-vu.

Alain rigole. Lui, si il voulait, mais voilà, il ne sait pas ce qu'il veut.

- Là-bas ou ailleurs, changer d'hémisphère, toujours en été... Commencer par un bon gueuleton, dans un trois étoiles, une vraie bonne bouffe chez le père Bocuse, ensuite passer la nuit dans un cinq étoiles avec une nénette du tonnerre.

Michel en bave sur ses basques, quoique les nénettes lui...

- Tout ça me donne faim, avant les étoiles, on pourrait commencer par une portion de frites. En passant je ferais mon Loto, et demain...

« Sera un autre jour », clament en chœur Benoît et Basile.

Ils se lèvent, tous quatre synchrones, se secouent comme de vieux chiens fatigués, tout juste s'ils ne se cherchent pas les puces. Basile fouille ses poches, pour le principe, il sait parfaitement où se trouve sa fortune, mais l'espoir fait vivre, un billet oublié, ou qui aurait poussé là, tout seul.

 

Une journée de plus ou de moins, c'est selon, selon quoi, qui ? La nuit tombe, la fraîcheur aussi, il est temps pour chacun de regagner ses pénates.

- C'est quoi un « pénate » ? Demande Benoît.

- T'as qu'à chercher sur ton iPhone, y a toutes les réponses.

Michel rigole, Benoît hausse les épaules. Naguère on lui a offert un téléphone, un avec une carte, mais il n'a jamais su s'en servir et a fini par le perdre.

- Pénates, c'était des divinités protectrices du foyer, elles t'attendent chez toi.

Alain est un peu l'intello de la bande, c'est surtout qu'il a fait des études et qu'il lit beaucoup, il a un ordinateur chez lui, avec l'internet, mais ça il ne le dit pas aux autres. Lui il n'est pas à la rue, ne l'a jamais été, il a même travaillé et touche la retraite, c'est juste que maintenant que sa mère... et que la retraite... il est un peu perdu.

- Va pour mes pénates.

Benoît s'éloigne, silhouette fluette, il lève le bras en signe d'au-revoir.

Alain rentre chez lui. Basile retourne dans son grenier, cette année il joue les prolongations, n'arrive pas à quitter son ermitage à moineau, les nuits sont encore glaciales et ses os de plus en plus frileux. Il écoutera la radio, lira les journaux qu'il a récupérés et qui patientent dans sa besace.

Michel est un noctambule, il se dirige vers le pont des Alliés, un peu plus bas vers le sud, rejoindre d'autres amis, enfin, c'est une façon de parler, ils sont là, et vont passer la nuit ou du moins une bonne partie à regarder couler l'eau et refaire le monde.

 

Basile a retrouvé son nichoir sous les toits, il entend les cloches sonner vingt-deux heures, puis les trois bip bip bip dans le poste. Après les infos il dormira, cette journée maussade l'a fatigué, il a froid, il se mijote un petit grog pour les rêves et après hop, vive les plumes.

La voix du présentateur débite ses tranches d'informations. Basile écoute sans écouter, il aime avoir une voix en bruit de fond, d'une certaine façon ça le rassure.

Une explosion en Syrie, une autre en Irak, une troisième au Mali et un mauvais sondage pour le président, un autre mauvais pour le premier ministre et à suivre Jo Machin qui s'est fait battre au tennis.

Ils n'ont vraiment jamais la moindre bonne nouvelle à nous annoncer !

Se dit pour la cent-millième fois Basile en avalant le fond de son bol.

Le 7, le 17, le 27, le 37 et le 47.

Basile sent un léger picotement sur le dessus de son crâne, puis tous ses poils se hérissent d'un coup ! Il n'est pas sûr d'avoir bien entendu et surtout il n'a pas mémorisé les numéros mais...

- Bon sang de bois, qu'est-ce que j'ai fichu de ce foutu ticket ? !

Ce midi, il a accompagné Michel, il a lui aussi jouer deux euros au Loto, comme ça, pour dire de faire comme... il a oublié aussi sec, sauf les 7. Pour rigoler il n'a joué que des 7. Michel l'a traité de nul, que jamais ça tomberait et bla bla bla, les statistiques, les probabilités. Sauf que Basile s'en foutait, il a joué pour jouer, pour se sentir vivant, pas spécialement pour gagner.

Le présentateur annonce une cagnotte de sept millions d'euros et... Un seul gagnant !

Les mains de Basile tremblent en fouillant les poches du blouson, celles du gilet, celles du sac, celles du pantalon... rien, il ne le retrouve plus.

J'ai dû mal entendre, Michel l'a dit, ce n'est pas possible, mes oreilles ont fourché, il doit y avoir deux ou trois sept mais pas cinq et pas sept millions. De toute façon ils vont le redire à vingt-trois heures. Oui mais d'ici là, il faut que j'aie le ticket. Calme-toi. Tu n'as pas pu le perdre, il est quelque part, ici. Les poches, tu refais ; le portefeuille, tu fouilles, ensuite regarde partout, si ça se trouve tu l'as posé sur...

Les yeux de Basile font un panoramique sur les douze mètres carrés de son grenier. Son cœur bat la chamade, sa vue se trouble.

Respire, non mais j'y crois pas, te mettre dans un état pareil pour cette connerie de Loto. De toute façon ce sera bien assez tôt demain pour... oui, mais pas sans le ticket.

Il recommence une fois de plus à retourner poches, sacs, vêtements, couvertures, rien de rien. Il s'assied, les larmes aux yeux.

Et si une fois dans ma vie il m'arrivait un truc bien, et que...

Il attrape la topette de rhum, s'en jette une grande goulée dans le gosier.

Pute borgne, sept millions, à moi ! À moi les îles et les vahinés, le homard grillé, le champagne, un appartement de cent mètres carrés avec salle de bains. Ah ! La salle de bains, une gigantesque baignoire avec des bulles et des remous et du truc qui mousse... et pourquoi pas la masseuse avec ?

Basile sourit aux anges, boit une nouvelle rasade et s'endort.

 

Monsieur Moino toque au carreau, le jour est levé, pas Basile, qui pionce tout habillé sur le voltaire de madame Lucette.

Toc toc toc ! (ne serait-ce pas plutôt pic pic pic ?)

Basile s'étire, ouvre un œil et... la première chose qu'il repère, juste sous le poste de radio, petit bout de papier qui dépasse.

Toc toc toc !

- Oui, c'est bon, j'arrive !

Il se gratte la tête, cherche le souvenir, ce papier, ce papier il l'a cherché, oui mais pourquoi ? Boules de loto qui dansent dans sa caboche.

- Nom de diou de bonzou de saperlipopette ! Le ticket !

Il l'attrape, lit la suite de nombres, se demande : Est-ce les bons ?

Toc toc toc !

Le moineau lui rappelle que le jour est bien entamé, que les journaux sont sortis et qu'il lui est maintenant facile d'aller vérifier.

Basile enfile ses chaussures, jette une poignée de miettes à l'emplumé et sort, descend en silence. Il se précipite vers la station de métro la plus proche, là où sont distribués les journaux gratuits.

Il pense, cela l'arrête net dans son élan.

Michel ! Bon sang, lui il sait, il a une mémoire d'éléphant, et avec ce qu'il a déblatéré, sûr qu'il se souvient de mes numéros. Si ça se trouve toute la ville est déjà au courant.

Basile repart, mais d'un pas moins assuré. Il réfléchit et se dit que :

Si j'ai vraiment gagné quelque chose, ne pas garder le ticket sur moi, tout de suite aller toucher le chèque, avant de rejoindre les autres et de faire une bêtise.

Il aperçoit la bouche du métro et les parasols indiquant les distributeurs de quotidiens. Il s'approche, en saisit un, deux, trois et file se mettre à l'abri des regards.

Cette fois il les a bien en tête, facile, plus facile tu meurs.

Résultat du Loto : 7 – 17 – 27 – 37 – 47.

Basile se sent tout mou, il jette un œil à droite, l'autre à gauche, comme si le monde entier allait lui tomber sur le dos, le lyncher, lui voler son petit bout de papier qui vaut sept millions, son paradis terrestre.

Il fait demi-tour, pas question de se promener dans la rue avec « ÇA » en poche.

Fini la galère, fini la misère, ce serait vraiment trop bête de... Je vais passer dire bonjour à Lucette, ça me calmera, on pourra en discuter, elle au moins j'ai confiance.

Basile marche maintenant d'un pas léger, il semble flotter au-dessus du bitume.

Ce matin, le soleil brille.

 

Extrait de "Marche à vue" / inédit

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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 17:58

 

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Ce matin, levé avant le jour, la tension est à son comble, la famille Bulot se prépare à partir en vacances, le père, la mère, les trois enfants.

Il est déjà six heures de matin, les valises sont enfin bouclées, surtout ne rien oublier.

La mère s'agite, le père consulte le « Guide de la route », les enfants hésitent entre excitation et angoisse.

- On va y aller. Dit le père.

- Tout le monde a pissé ? Demande la mère.

Surtout ne rien oublier, on ne sait pas ce qu'il peut arrivé, et s'il venait à neiger !

Le petit se prend à rêver de luge et de bonshommes de neige.

Le grand se dit qu'il ne faut pas exagérer, de la neige une première semaine d'août.

- Maman, Mistigri dort dans le placard. S'exclame Barnabé l'entre deux.

Branle-bas de combat, il faut faire sortir le chat.

Le père a disparu, il est descendu, il attend dans la voiture.

Depuis la veille la 404 est garée juste devant l'entrée, elle brille, le père l'a astiquée.

Le coffre est plein à craqué, les enfants ont des sacs à leurs pieds, le père dit qu'il faudra un jour installer une galerie.

La mère remonte en courant vérifier que la porte est bien fermée.

Le père est au volant, le grand fils à l'avant à côté du père, le deuxième fils à l'arrière, derrière le père, le petit au milieu, la mère dans la diagonale du père. Rien n'est laissé au hasard, en cas d'accident les chances que le père ou la mère survive sont optimisées, et il restera peut-être un enfant.

Le père met le contact, le moteur tourne... plus personne ne dit rien, moment attendu et redouté.

Le père pose la question : Où est-ce qu'on va ?

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22 octobre 2008 3 22 /10 /octobre /2008 18:01

Ce livre n'aurait sans doute jamais du voir le jour, ou la nuit, car le processus s'est déclenché une nuit, entre rêve et veille. Je ne sais si cela vous est déjà arriver de vous endormir en écoutant la radio ? Quelle horreur que ces nouvelles machines qui coupent automatiquement le son au bout de 59 minutes. En l'occurrence France Culture, comme chaque soir ou presque, je me couche avec France Cul’, nulle autre n'a passé plus de nuit en ma compagnie, et moi en la sienne.
Ce soir là, je parle de soir car c'était l'été, une fin juin début juillet, la nuit n'arrive que vers 22h15 / 30. Je déteste l'heure d'été, en fait non, ce que je ne supporte pas c'est le changement d'heure, je suis un être primitif, et mes horloges internes sont bien calées. Je ne porte jamais de montre et sans me vanter je sais toujours l'heure qu’il est à plus ou moins un quart d'heure près. Quel besoin de plus de précision, de toutes les façons et quoique je fasse je suis irrémédiablement en avance, au moins d'un quart d'heure. Combien de fois m'est-il arrivé de faire le tour d'un pâté de maison avant de sonner ou d'entrer là où j'avais rendez-vous. Il m'est même arrivé de faire une rencontre, mais ce n'est pas le propos, c’était il y a longtemps et je l’ai perdue de vue. Une autre fois, une voiture de police s'arrête à ma hauteur, on me demande mes papiers, effectivement je tournais depuis un petit moment dans un quartier chic, là où le bourgeois à le 17 facile. Ces messieurs avaient bel et bien reçu un appel pour leur signaler un individu suspect, moi.
Où en étais-je ? Oui, ce soir là, je me suis mis au lit alors que la nuit n'était pas encore complètement tombée. Cela m'arrive rarement, mes yeux étaient fatigués, mes jambes aussi. Habituellement quand je suis dans cet état je vais faire une promenade vespérale, cela dérouille mes articulations malades et me repose un peu l'esprit et les yeux. Si je me couche sous tension ; c'est si je me couche “fatigué” qui passe dans ma tête et cela me fait sourire, car c'est vrai, si je me couche fatigué je ne m'endors pas, il faut que mon corps et surtout mon cerveau aient eu le temps de se détendre, de se reposer un peu pour accepter de se laisser aller au sommeil. C'est étrange tout de même cette chose, je parle du sommeil, et particulièrement de ce moment qu'est l'endormissement, cet entre deux, moitié rêveries, moitié encore en train de penser à sa journée ou à une idée qui était restée bloquée dans un petit coin et profite de ce moment incertain pour remonter à la surface et demander son temps de réflexion. Vous n'avez jamais conscience du moment précis ou vous vous endormez, parfois vous vous sentez tombé dans un puits et hop, réaction, coup de talon au fond de la piscine, c'est énervant mais signe indiscutable que vous n'êtes pas prêt à lâcher la rampe. Je me demande bien qui est ce vous subitement arrivé dans cette note ? Je me souviens d'une cousine et je sais que son cas n'est pas unique, elle qui, aussitôt étendue et les yeux fermés, s'endormait. Je l'enviais, d'autant qu'elle se réveillait de même, elle ouvrait les yeux, et sautait du lit fraîche et rose. Alors que si vous vous êtes endormis aux premiers chants du merle, les réveils sont difficiles. Aujourd'hui, avec le recul, c'est étonnant cette expression « avec du recul », un peu comme si votre vie pouvait passé la marche arrière, et ce n'est pas totalement faux si on y réfléchit un instant, le seul point de vu que l'on ait de sa vie, c'est son passé, on s'éloigne du jour de sa naissance tournant ainsi le dos à l'avenir. L'avenir il est dans notre tête, et si l'on a des projets… à aucun moment de sa vie nous ne pouvons nous retourner pour fixer un point dans l'avenir. Voilà que nous, nous rejoint. Avec le recul donc, je me dis que ma vie aurait été bien pauvre et terne sans ces milliers d'heures passées, étendu, attendant le sommeil. Combien d'idées me sont venues dans ce temps en quelque sorte hors du temps, combien de réflexions, d'analyses, qui m'ont permis de comprendre un peu le monde qui m'entourait, ou de ne rien y comprendre, et de prendre des décisions, de pouvoir répondre. Heures d’angoisses sans nombre, agité, me tournant et retournant dans mes draps avec en moi l’idée de la mort inéluctable. Ma compagne France Culture était là, fidèle au poste, je crois bien ne jamais avoir changé une seule fois la fréquence du dit poste de radio, celui qui est ancré à vie sur ma table de nuit. Ma culture générale est basée en grande partie sur ces nuits sans sommeils, car il m'est arrivé, il m’arrive encore, quoiqu’avec l’âge… d'écouter toute une nuit émissions après émissions et d'enchaîner sur les infos du matin. Il est arrivé plus d’une fois qu’une personne, souvent un peu étonné voire énervée, me demandait : « Mais comment est-ce que tu peux savoir ça ? Toi qui ne lis pas la presse et qui n'a même pas la télé !» Mon secret est simple, France Culture, qu'il s'agisse d'histoire, d'économie, de mathématique, d'astrophysique, de littérature, etc. Ma vie aurait été totalement différente si je n'avais pas été affublé de cette « infirmité congénitale » qui consiste à ne m'endormir qu'après un temps certain d'entre deux. Bien différente pour sûre, mais ce n’aurait plus été moi. Pas insomniaque, non, je ne me suis jamais considéré comme tel car il m’arrive de dormir, de faire d’excellentes nuits, une affaire de cycles, j’ai bien essayé de corréler ça avec les phases de la lune, ce que j’avais fait ou mangé ou bu mais rien de concluant. J’ai des amis qui se disent insomniaques sauf que j’ai le chic pour les réveiller chaque fois que je leur téléphone. Peut-être trouver un mot genre insomnuitiaque, insomnuitziaque c’est mieux, pour ceux qui ne dorment pas ou peu la nuit mais qui piquent de sérieux roupillons à n’importe quels moments de la journée, variété de nocturne, le syndrome du hibou, des hommes, surtout des hommes.
Vous est-il déjà arrivé de vous endormir en écoutant la radio ? Je crois bien avoir déjà posé cette question. Dans ce cas de figure un phénomène étrange se produit parfois, plusieurs en fait, c'est que tout en dormant, vous continuez de suivre l'émission ; un spécialiste du sommeil dirait sans doute que ce phénomène ne dure pas très longtemps, suffisamment pour imprimer la sensation et la garder en mémoire. Ce qui est plus curieux encore c'est que vous rêvez, vous rêvez tout en ayant conscience de la radio à côté de vous, tout en sachant que le rêve que vous êtes en train de faire est parasité, contaminé ; je cherche un terme positif ; imprégné, impressionné, par l'émission en cours. C'est exactement ce qui est arrivé cette nuit là.
Vous dire aujourd'hui avec précision quel était le sujet de cette émission, cela m'est impossible. Le souvenir du rêve est lui resté bien nette, au moins pour certaines séquences. Quoique parfois il existe des variantes du même rêve, il doit se répéter plusieurs fois de suite, avec courtes phases de réveil intercalés et hop’, je replonge. Et si je m’en souviens c’est que c’était le matin.
Il était question d'ethnologie, de rituel, et le mot « zoroastrisme » me revient à l’évocation des images. Et pourtant globalement ce rêve n’a rien à voir avec, quand même un peu si, mais il faudra gratter profond pour découvrir la couche signifiante, celle qui me donnera la solution, car ce roman, Le Rêveur, est issu de cette nuit là, de ce rêve là ; et ça j’en suis certain.

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20 mars 2008 4 20 /03 /mars /2008 11:17
Il se passe quelque chose d’imprévu, d’extraordinaire.
Ce matin nous partons avec la voiture pour faire les courses, nous allons au Supermarché, à la ville !
C’est la première fois, devant c’est la queue pour entrer, dedans c’est pire, les gens se bousculent, c’est très grand. Maman achète tout ce qu’elle peut, papa l’aide, ils ont pris chacun un chariot à roulettes, c’est rigolo. Ils ont acheté du sucre, du café, de l’huile, du riz, des pâtes et un tas de boîtes de conserve, de la farine et aussi des bougies ; au cas où la lumière viendrait à manquer. J’ai dû porter des sacs très lourds. Maman dit que demain nous reviendrons pour voir s’il y a encore des marchandises, qu’il faut être prévoyant.
En rentrant il a fallu tout déballer et faire de la place dans les placards, un vrai déménagement. Papa parle de faire des stocks d’essence, avec des bidons et des jerricanes.
– On ne sait jamais ce qui peut arriver, si c’est le grand soir…
Là j'avoue que je ne comprends pas très bien.
Papa passe du temps dans le jardin, je l’aide, là aussi il fait de la place. J’arrache les fraises et les fleurs pour semer des légumes et planter des patates.

Depuis plusieurs jours il se passe des Événements.
Je ne sais pas encore quoi mais les parents écoutent la radio tout le temps, maman ne va plus travailler. Le soir nous allons chez les voisins voir les informations à la télé. Les images montrent des gens dans les rues, ils manifestent, ça veut dire qu’ils ne sont pas content, c’est la voisine qui m’explique. Ça fume et les CRS-SS courent après les étudiants. C’est à cause de la grève et des gauchistes.
Chez nous, y a pas de manifestation, nous n’avons pas d’étudiant. Mais il n’y a plus de cars pour aller en ville, à cause de l’essence qui manque. Les adultes s’inquiètent ; si les syndicats s’en mêlent ; la révolution n’est pas loin ; papa a l’air content quand même. Le voisin dit : heureusement que De Gaulle est là.
Ce vieux con devrait foutre le camp. Version de mon père quand on est rentré chez nous. Les femmes font ce qu’elles peuvent pour calmer les hommes.
Mon père est tout excité, à la maison il parle de monter à Paris.
Pour y être, non d’un chien ! Si ça barde faut pas rater le coche !
– Vas-y donc, tu y laisseras ta main ou bien un œil.
– Tu ne te rends pas compte, si c’était la bonne, qu’on réussisse à foutre De Gaulle par terre !
– Et après qu’est-ce que cela changera pour nous, on sera pas plus heureux pour autant.
– Tu n’y comprends rien, tu as peur, ce ne sera pas comme à l’Est, on a l’expérience, nous ne ferons pas les mêmes erreurs.
La bonne quoi ? Quelles erreurs ? De quoi maman a-t-elle peur ?
Des questions auxquelles je n’aurais jamais de réponse sinon ; t’es trop petit pour comprendre. Sauf que moi aussi j’ai peur, pas trop, mémé m’a dit que nous avons de la chance d’être à la campagne, nous aurons toujours à manger ; alors qu’en ville
Ce matin, pas d’école, on nous dit de rentrer chez nous. C’est comme des vacances, pas les vraies, les maîtres se sont mis en grève, comme à Paris !
Il fait beau et nous sortons avec les copains, c’est la liberté. Papa et maman se chamaillent toute la journée, papa dit qu’il faut faire sauter le gouvernement, maman répond ; pour mettre quoi à la place ? et ainsi de suite…
Les pompes à essence sont vides et plus rien dans les magasins, ils ne sont pas livrés, les camionneurs sont en grève.
Nous on peut tenir longtemps, avec  toutes nos réserves et le jardin.

Deux semaines déjà, et ça continue. Comme ce n’était pas prévu, les grands et les petits nous sommes souvent ensemble, pour pas qu’on s’ennuie et qu’on fasse des bêtises. J’apprends à jouer au tarot, c’est un jeu de cartes, plus compliqué que la bataille. Ils me disent que je suis doué, peut-être qu’après les Événements je pourrais continuer de jouer avec eux.
Nous faisons aussi des parties de foot sur la place, ou des tours de vélo.
À croire que…

C’est fini, le mois de juin est bien entamé, la révolution n’a pas eu lieu et l’école reprend, mais les maîtres et les maîtresses ne sont plus comme avant et la barrière est ouverte dans la cour, les filles et les garçons peuvent jouer ensemble, mais ça ne change rien, enfin pour les jeux.

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Audio Vox Concept'

regroupe une suite de textes conçus et écrits pour la voix.

Mise en bouche en souffle en 3 2 1 …

  D’autres textes dans la rubrique Audio Vox
(enregistrement artisanal par l'auteur)
La version audio est parfois différente de la version texte.
La raison pourrait en être une persistance des brumes textuelles.
Les poèmes sont des plaques tectoniques, ils bougent, se choquent, s'entrechoquent, emmagasinent de l'énergie, cela produit des failles de sens, des cratères néologiques, parfois aussi des tremblements de vers, des tsunamis sémantiques…