UTNAPISHTIM
[Scène d’intérieur, genre studio, un grand miroir, un tapis, une chaise/tabouret ; dessus des vêtements propres, pliés ; un patère,
une serviette de bain, une bouteille d’eau minérale. Caché sous un tissus tendance ocre marron un vélo d’intérieur. Ce vélo dispose d’un réglage de puissance qui simule les accidents de terrain,
de roue libre à escalade de cols, et d’un compteur de vitesse.
Au début, pénombre qui permet
juste de distinguer les objets.
L’acteur entre en peignoir de bain, en trottinant façon boxeur,
il s’étire, baille et se place devant le miroir, il boxe avec son image...
La lumière monte
progressivement ou, c’est le personnage qui éclair...]
[il se regarde dans le miroir]
Bof...
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
À l’âge qu’il avait il était peut-être chauve ?
En tous
les cas, toi mon petit vieux, je voudrais pas dire mais tu prends du ventre. Encore un peu et tu pourras jouer les Bouddha.
...
Ouf ouf ouf, échauffement.
... Assouplissement... La forme !
... Aïe ! Plus rouillé qu’une girouette millénaire. J’te donne pas dix ans pour finir à la casse.
... [exercices d’assouplissement façon gymnastique traditionnelle]
Recommence. Et que ça saute !
... ...
On va dire que c’est bon, assez
chaud.
Maintenant, en voiture Simone. Roulez roulez...
[il enlève le peignoir, dessous un caleçon, puis il découvre le vélo et monte dessus. À portée de la main, son texte. Il était là,
ou, le comédien l’avait à la main/poche en entrant, au choix]
Léger pour commencer, cinq petites bornes tout cool, terrain plat. Faut pas affoler la machine, le mollet souple, la cheville
aérienne.
[il pédale tranquille, prend le texte, le feuillette et commence à lire]
L’ÉPOPÉE DE GILGAMESH !
PROLOGUE
“Celui qui a vu les confins du pays. Le sage qui a connu toutes choses, tous les secrets. Celui-là nous a transmis un savoir
d’avant le déluge. Il a parcouru un long chemin. De retour, il grava dans l’argile le récit de son voyage. Il bâtit les remparts d’OUROUK et l’EANNA sacré, demeure d’ANOU et
d’HISHTAR.”
Au sein de ces remparts naquit Gilgamesh, il fut crée par les grands dieux.
UTU-SHAMASH le soleil lui accorda la beauté et ADAD l’éclair lui donna la vaillance. Pour deux tiers il est dieu, pour un tiers il est homme. Il est semblable à un taureau sauvage, sa force est
incomparable, ses armes invincibles.
Quand il a vaincu le géant gardien de la forêt des cèdres
et le taureau céleste, Enkidu était à ses côtés.
“Enkidu, toi mon frère, mon seul ami, né de
l’argile, tu es retourné à la terre.”
Après les rituels funıéraires, Gilgamesh s’en va et erre
à travers les plaines. Il se lamente et dit :
“Ne vais-je pas moi aussi, un jour, devenir comme
Enkidu ?
Me voici par peur de la mort, errant dans les prairies vers mon aïeul OUTA-NAPHISTIM,
le seul survivant du déluge qui a pu recevoir des dieux la récompense de l’immortalité, j’ai pris la route pour le questionner sur la vie et sur la mort, afin de découvrir auprès de lui le secret
de la vie éternelle.”
...
Belle histoire.
...
Moi la dedans je suis l'ancêtre, le vieux de la
vieille, l'antédiluvien... d'Yve à Noé ! Joyeuse perspective, mieux que le Paris-Dakar !
Mon
petit gars, du haut de cette selle septante siècles te contemplent. Impressionnant.
[il laisse tomber le texte, pédale un peu plus vite]
Les voyageurs en partances pour destination incongrue. Embarquement immédiat.
...
Et adieu
la cellulite !
[chanté]
Carmélite en cellulite
Je me
tape une bonne cuite
Délit de fuite
Le plombier il est passé
Médor l’a arrosé
Délit de fuite
C’est juste une chansonnette
Je rote je pisse je pète
Délit de fuite Délit de
fuite
pom pom pom...
Tu te prends pour qui là ?
Tu
crois vraiment que tu peux jouer les jeunes premiers ? Les Belcanto bellâtre ? Le premier rôle ?
Premier... T’as jamais été, été comme hiver tu sera jamais. C’est la vie, c’est dans le sang, dans les gènes, et là où y a des gènes...
Bonté divine, cré vinzou, cornebleue !
Et le débile qui a dit “Les premiers seront les...”
Les
petits devant ! Oui. D’abord.
Je vous l’avais bien dit. Suffit de tirer le bon numéro, le
numéro d’acteur, bon acteur.
Il n’y a pas d’acteur pour le numéro que vous avez demandé. tut
tut tut tuuuut.
...
Tout dans la tête. Tout dans les couilles.
Why des
couilles ? pourquoi faire ? Faire quoi avec ?
Les actrices, elles !
Jouer la comédie ? La grande tragi-comédie, comic...
...
Tu ferais mieux de rentrer ton
ventre.
Et de te tenir droit.
Dis bonjour ! Touche pas ton nez ! Sors les mains de tes poches ! Touche pas à ça, c’est sale ! Arrête de te gratter !
Apprendre à bien se tenir, à bien faire. Tenir debout. Apprendre.
Ce foutu texte. En final, trois pages d’affilées qu’ils m’ont filé, un vrai tunnel, j’arriverai jamais à le
digérer, à me rentrer tout ce charabia dans les tripes, dans la caboche. C’est vrai quoi, j’ai jamais rien su
faire de mes quarante quatre milliards de neurones, c’est pas aujourd’hui que...
C’est surtout pas le moment de déprimer, trois pages c’est pas la mer à boire, pour une fois que tu décroches un job, mon pauvre...
Faut te mettre en jambe, la mémoire qui flanche, ça va avec les jambes, question d’exercice.
...
Regarde
toi. trente neuf printemps.
Encore heureux, pas trop de cheveux blancs. Juste un peu de
gras.
De l'entraînement, c’est ce qu’il te faut, t’entraîner, dur.
Retrouver le souffle, les muscles, la mémoire, perdre le bide, les bourrelets.
Le sport y a que ça de vrai !
Bordel. Si je m’entendais dire des conneries pareil.
...
Chauffeur de taxi, Tu serais capable de la faire ?
À la campagne ! Là où y a pas d’embouteillage. Oui, mais j’aime pas la campagne. Conducteur de métro. Tunnel, dernière station, station debout, couché, debout, couché, debout, couché... Un, deux,
trois, un deux, une deux trois, accélère ! et couche toi là ! Et ferme ta gueule ! Et pourquoi pas baisse ton froc, ouvre bien grandes les fesses, ça va, ça vient ça va vite et ça rapporte gros
!
Faudrait oser. Une fois. Pour voir ? Avec une bonne capote.
Fini de déconner, la pédale c’est pas ton truc, alors tu fais du...
Non, t’es vraiment trop nul, laisse tomber. Mets-toi au boulot.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais Shourouppak, la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis
des temps très éloignés, les dieux habitent. Un jour, les grands dieux ont décidés de faire le déluge. Ils ont tenu conseil.”
...
Conseil...
Fonctionnaire, il disait. Un concours, un bon métier, la sécurité.
Il avait peut-être pas tord ce vieux con.
Travailler, non, c’est pas possible, pas moi.
- Signez
là, c’est votre avenir, la retraite garantie.
Ou alors pas avant quarante piges, avant d’avoir
essayé, tout essayé, plutôt clochardiser. À vot’ bon cœur msieudames. À vot’ bon cœur. Ils puent trop vite, trop vite pourris, le train train ça rend blette.
...
“Il me dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Demande la vie sauve, rejette
tes possessions, charge dans ce bateau la substance de tout ce qui est vivant.”
...
Dans le désordre on doit pas en être
loin.
Rien que d’y penser je me bloque, c’est trop con, pourtant à l’école, j’avais pas
mauvaise mémoire, en récitation, j’avais de bonnes notes.
C’est la bibine, la chopine, pour
oublier, faut que j’arrête de picoler, d’oublier. La viande, les neurones, même combat.
Et
c’est reparti.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis des temps très
éloignés, les dieux habitent. Un jour, les grands bleus ont décid... Les grands dieux ont décidé de faire le déluge, ils ont tenu conseil. ENKI-EA, le dieu d’en bas, le dieu des eaux, le père des
hommes, le sage et le connaissant... ...”
... ...
J’ai bien connu son père.
...
Regarde la ligne bleue des montagnes. Tu vois,
demain il va pleuvoir. Quand il fera beau, on voit la neige.
~L’Euphrate... Passer l’hiver au
chaud, à rien foutre, prendre un train, le mettre dans sa poche... C’est en Irak, l’Euphrate, peut-être pas bien le moment, attendre.
...
Pour avoir chaud et pour pas cher, il suffit de
pédaler.
Cinq cent mètre à quarante.
[pédale à quarante au compteur, chanté façon French Cancan]
Lalalalalalalalalalalllal... ...
[bruit de moto vroum vroum... pédale très vite]
...
“Il me dit : Démolie ta maison et construis toi un
bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Sauve ta peau.”
...
Vaut mieux reprendre du début.
...
“Gilgamesh. Je vais te raconter un secret profond
et mystérieux. Tu connais...”
...
Non, c’est pas ça !
Ces satanés mots, ces diablesses
de phrases, ce sacré texte. Nom de Dieu ! Concentre, faudra bien qu’il vienne, t’as qu’à pousser, faudra que ça sorte, par n’importe quel bout.
...
“Gilgamesh. Je vais te dévoiler un secret profond eˇt mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville... Cette ville... Tu la
connais la ville... Lalala ... Tu connais qu’elle...”
...
Je rote, je pète des bulles, y a que de l’air qui sort.
Souffle, inspire, souffle, inspire. Profonde inspiration.
Je m’appelle Polynime. A Z Polynime, fils, petit fils, arrière petit fils de l’antique polysème. Tout ça remonte
au déluge. Connard de Noé, s’il avait bu la tasse, si son putain de rafiot il avait titanisé sur un ice-crime. Je serais pas là à essayer...
D’abord, quelle gueule il avait, rien ne dit dans les textes que c’était un petit gros le père Noé. Et quel âge
il avait vraiment quand il a arrêté de mourir ?
Pourquoi j’ai été choisi, et pourquoi il veut
que je me laisse pousser la barbe, peut-être qu’il se rasait tous les matins. C’est de l’interprétation, de la traduction abusive ! De la haute trahison ! Jetez-le aux lions !
...
“Il me
dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa largeur égale sa longueur et en tout pareil pour sa
hauteur...”
...
Un homme à la mer !
...
“Gilgamesh...”
...
Imagine un cul, un cul d’adolescente, presque
encore une petite fille et que toi t’as envie de jouer au docteur, que plus tu pédales et plus il se rapproche, si tu faiblis, hop, il s’éloigne. Pense à ça.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret.”
...
Une histoire de cul, oui ! Y a pas de
secret.
...
Un aréopage d’aérophage piaffe d'impatience sur les quais d’une aérogare en partance pour nul part. [bis ter + + + vite]
Paaaaaaaaaart... Tout le monde descend... Roue libre... Ah la vache !
...
Et avec ça il croit qu’il va devenir beau ?
Beau mec. Devenir beau. Encore un truc pour enculer l’pauv’ monde, on naît beau ou nabeau, un point à la ligne, fermez la parenthèse, ligne bleue des
montagnes lointaines. Lignes de fuites, droites ou pas tout à fait droites, de gauche à droite et lycée de Versailles. Et zig et zag et ZAP FM ! [hurler Zap FM]
Tu entends l’écho ? C’est ta voix qui revient, elle rebondit sur la falaise, comme une balle contre un
mur.
Mon père il plaisait aux femmes, il a plu à ma mère et me voilà en train de pédaler, de
faire défiler la paysage, - horizons perdus -. Bonne raison pour se taire.
...
...
Trente trois kilomètres à l’heure, c’est une moyenne, honorable.
- Il ira loin ce petit. Si il suit le droit chemin .
Tu parles.
Un jour il a attrapé une musaraigne, dans la
neige, il l’a posée sur sa main, petite bête sauvage.
Pense à autre chose, tu vas pas nous la
jouer nostalgie. Quand tu seras devenu grand riche et célèbre tu pourras penser aux femmes et écrire tes mémoires, en attendant remonte la pente, faut que tu recolles au
peloton.
...
“À la première lueur du jour, les gens du pays s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le
sacrifice. Les jeunes me portèrent le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses
parois cent-vingt coudées. La longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties.
J’ai enfoncé les chevilles marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai verché six... J’ai versé chi... J’ai versé six char...”
...
Articule bon sang, pense à ton nez, au négro,
qu’avait le nez fin, spirituel... Mais de mauvais goût.
C’est peut-être pour ça, les femmes me
trouvent mauvais goût. Mauvaise mine, de sel, de rien. Fade, attendre que je m’assaisonne, poivre et sel. Encore un peu vert. Encore un peu de patience. Attendre, toujours attendre, jamais
fuir.
Je pourrais faire peut-être du commerce ? Octante nonante c’est Youpi, le grand marché la
grande foire, amour et commerce ou commerce de l’amour ou amour du commerce ! Comment on dit - Libéralisme - en russe ?
Lui, il était colporteur.
...
Un aréopage d’aérophage piaffe d'impatience sur les quais d’une aérogare en partance pour nul
part.
...
Ferme, reste ferme, du cran du courage du souffle et du cœur à l’ouvrage. Reprends du début, de juste avant le déluge, de quand y z’étaient là à attendre
que ça fonde, qu’on crève tous la bouche ouverte le bec dans l’eau.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de
l’Euphrate, cette ville ou depuis des temps...”
...
Merde, merde ! J’ai encore bouffé le nom de ce putain de bled.
...
Bon,
calme, on ne s’énerve pas, et arrête de renifler !
Je te croyais pas si sensible, t’es pas une
vieille chambre à air percée. Tu vas tenir le coup, tu vas pas te laisser mettre par ce p’ti con de metteur en scène ! Merde!!! C’est toi sur les planches, c’est toi qu’ils vont
voir.
Reprends depuis le début, juste avant le déluge, quand ils sont tous là à t’attendre et
que toi Noé tu te marres en douce au bord de la grande flaque, que toi tu sais et que eux ils vont crever.
...
[en silence, seul les lèvres bougent, puis
murmuré]
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais Shouroupak, la ville située sur le bord de l’Euphrate
!”
...
Shouroupak ! Chou rouge en pack. J’l’ai eu. Salope !
Inspire, te laisse pas asphyxier, laisse toi griser, ivresse de l’oxygène du fin fond de tes gènes, de ceux du grand père Noé, de ceux d’avant le déluge,
du temps où ils savaient pas encore et que toi tu sais, sais peut-être. Tu sais la bombe, prochaine station, prochain déluge d’électrons, de neutrons, électrolocution. S’éclater la gueule dans un
miroir, pour une dernière fois se voir, onze mille milliards de fois.
Passionnant non ? Pédale
mon vieux. Pédale.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler le secret profond et mystérieux.”
...
Ce sera à en pisser de rire. À s’en faire péter le
colon. Et après moi le déluge !
...
“Gilgamesh.”
...
Toujours un train de retard. Jamais là où il faut,
à la bonne place, à la bonne heure. Ah ah ah ah... À la bonne heure !
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler le secret profond et mystérieux, ENKI-EA le dieu d’en bas le dieu des eaux, le
père des hommes, le sage et le connaissant...”
...
T’y arrive pas j’t’dis. T’es qu’une infâme diarrhée, logorrhée, hyperménorrhée, plus qu’une fuite, en avant, en
avant toutes ! Pour la grande hémorragie, finale !! À fond ! À fond les manettes pti gars !
...
[pédale au maximum du possible]
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et
mystérieux. Là où les dieux habitent. Un jour, faire le déluge, le dieu des eaux le père de toutes les créatures. Une nuit, il descendit sur la terre se penche sur ma maison et répéta,
démolie, construis, abandonne, demande, sauve, rejette, préserve, charge, chargez !!!
...
Stoppez les machines !
T’es dingue ou quoi ? Tu débloques plein tube.
Arrête de dégueuler, de˙ te prendre pour le trou d’une chiotte, pour l’œil de cyclone, pour le nombril d’un monde décomposé.
Coupez. Coupez !
...
[il essuie sa transpiration avec ses mains, les
renifle]
...
Beurk...
Tu te répands comme une vielle serpillière
trop imbibée et qui peu plus, qui a jamais pu plus, qui peut pas en avaler plus, qui en peut plus de pédaler, et pas plus que ça. Et ça, ça dégouline, ça s’écoule, ça pisse, par tous les trous,
ça pisse comme entre les jambes des femmes et c’est ça le vrai déluge, c’est ça qui a fait monter le niveau et que ça s’arrête jamais. C’est de là que Noé est sorti, c’est de là qu’il aurait du
nous sauver.
...
Tu t’excites, tu t’exhibes, regarde toi, tu perds la boule, et boule qui roule et boulimique, y mythe, y mime, y-mes-nos-p’taire...
Reprends du début. De juste avant le déluge, tu sais bien, juste avant que la Bon dieu il se mette à pleurer
tellement il avait raté son coup, alors rideau, comme les petits chats, il noie toute la portée, enfin presque. Même ça il a pas été foutu, ce vieux schnock mégalo parano.
...
“Au
septième jour, la construction du bateau était terminée...”
...
Vidé, hein ? Tu arrives au bout, bout du rouleau, fini la route, fin du monde, le déluge, la xième glaciation,
celle qui me glacera les os, qui me refroidira une bonne fois pour toute quand j’aurai fini. Fini et même plus envie de faire le con sur cette planète, sur cette scène, sur ce vieux rafiot pourri
et tout rafistolé.
...
Tiens toi droit ! Rentre ton ventre.
...
[ça démarre comme un discours, dérive en
chantant]
“Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa largeur égale sa longueur et en tout pareil pour
sa hauteur. À la première lueur du jour, les gens du pays s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le sacrifice. Les jeunes me portèrent
le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses parois cent-vingt coudées. La
longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties. J’ai enfoncé les chevilles
marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai versé six sars de goudron et six sars de bitume. Un sar d’huile pour enfoncer les chevilles marines et deux autres sars d’huile que le batelier
garde en réserve. J’ai mis les perches et chargé les provisions. Chaque jour, pour la nourriture des gens, j’ai fait égorger les bœufs et les moutons. J’ai offert aux artisans le jus des vignes,
le vin rouge, le vin blanc et la bière pour qu’ils en boivent comme l’eau du fleuve. Enfin, j’ai fait une fête, comme le jour du nouvel an. Je me suis lavé et frotté les mains avec
l’huile.”
...
Ça vient, j’y suis presque, suffit de laisser couler un peu, de lâcher du leste.
...
Waouuuu, le cœur y tape, hein... tape fort, très
fort.
Pas le moment de me l’infarctuser, de me casser le cœur.
C’est que j’œuvre pour mon œuvre, pour gagner ma place, place au soleil, de l’histoire, du temps, de l’art,
dollar, faire le singe pour gagner de la monnaie, plus trébuchante que sonnante. Me gagner mon bout d’éternité, mon petit paradis. Traverser le fleuve, rencontrer Noé et ne plus dormir, boire des
litres et des litres de café, gagner un peu de temps, même un peu c’est quand même de l’éternité.
...
Et si je suis pas à la hauteur, que rien, noir,
silence. Get out l’artiste !
Sifflets, tomates... Le bide.
Non, pas possible, je ne serai pas tout seul, et puis c’est juste un petit rôle, en plus au dernier acte, ce ne
pourra pas être de ma faute.
...
C’est comme s’ils étaient déjà là, je les sens. Ils me regardent, ils me voient, avec leurs yeux. Si ils rient, c’est comme les hyènes. Leurs yeux brillent
dans le noir, yeux de chirurgiens, de bouchers, de charognards. Ils attendent, ils n’attendent que ça...
...
Idées noires, pas bonnes, laisse tomber, pense à
ton texte, pense à ton rôle, petit homme.
Pense au cul de la petite fille, concentre-toi,
deviens lourd, plein jusqu’à la gueule, prêt à tout vomir. Et tu verras, ça va sortir.
...
“Au septième jour, la construction du bateau était
terminée.
J’ai porté dans le bateau tout ce que je possédais. L’argent et l’or, je les ai
portés.”
...
Je croyais qu’ilˇ devait laisser ses richesses, le vieux grigou, il en a profité pour mettre son pécule au sec.
...
“Tout ce
que j’avais d’espèces vivantes, toute ma famille et mes parents. Les bêtes domestiques et celles de la plaine. Tous les artisans, je les ai fait monter aussi. Le dieu UTU-SHAMASH, le soleil, la
lumière du ciel m’a fixé le moment précis et m’a dit : Lorsque le soir, celui qui tient les tempêtes fera pleuvoir la pluie de malheur, entre dans le bateau et ferme la porte.”
...
C’est bon
!
...
Si ça marche, on aura des articles dans les journaux, on passera à la télé, sur France Culture, on partira en tournée.
Si ça marche, c’est pas de moi qu’on parlera. Ce n’est pas grave, ce sera bien quand même, y a pas
d’âge...
Je m’appelle A Z Polynime, descendant de l’antique Polysème, inventeur des mots
gravés, des mots qui restent, qui résistent, qui ressurgissent là où on ne les entend plus, ils s’insinuent, se glissent, se faufilent. Mots volés, attrapés au vol, vol de mots sur l’horizon
lointain.
- Le fou, le fou
du langage, le fou du langage du fou. Colporteur de mots je les charrie d’une oreille à l’autre, agence de voyage pour mots en mal de
langue...
...
[la figure dans les mains]
Qu’est-ce que tu radotes ? C’est fini ce truc, c’était y a longtemps, mélange pas tout. Mélange pas tout.
...
Albane,
pourquoi t’as disparu ? Pourquoi t’es partie ?
Tu viendras me voir, dis ? Tu verras les
affiches et tu viendras. Et à la fin, après, dans la coulisse, tu seras là, je te verrais...
...
Et la tragi-comédie tourna au mélodrame-à-tic.
[Mendelssohn]
...
Puffff... J’en ai marre... Marre de suer. Mais c’est bon.
[il descend du vélo, boit à la bouteille d’eau, s’adresse au miroir]
Tu t’es pas arrangé depuis tout à l’heure.
J’élimine, je me détoxine, je fonds, encore un peu et j
e retrouve la ligne.
[se douche avec l’eau de la bouteille]
Dernière ligne droite, ligne bleue des montagnes enneigées, ligne de mire, ligne du cœur.
...
[fin de
la douche]
Des mots tout ça.
[dos au public, il enlève son caleçon, il est nu, il commence à se sécher]
Toujours les mots, j’en fini pas de les ingurgiter, de les déglutir, de m’en farcir la panse, de les débiter en tranches. À point
ou saignant ? Toute cette sueur pour faire le clown, pour qu’on m’aime, pour l’illusion, le semblant, pour la gloire.
“Ma plus belle histoire d’amour...” C’est moi.
...
[sur l’air du Petit Navire]
La la la la la la la la la la la...
[il commence à s’habiller]
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond
et mystérieux. Tu connais Shourouppak, la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis des temps éloignés, les dieux habitent. Un jour, les grands dieux ont décidé de faire le
déluge. Ils ont tenu conseil, ENKI-EA, le dieu d’en bas, le dieu des eaux, le père des hommes et de toutes créatures, animales et végétales, le sage et le connaissant, était présent parmi eux.
Une nuit, il descendit sur la terre, se pencha sur ma maison et me répéta leurs paroles.
Ils me
dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Demande la vie sauve, rejette tes possessions, charge dans ce bateau la substance de tout ce qui est
vivant.
Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa largeur
égale sa longueur et en tout pareil pour sa hauteur.“
...
[quand il a fini de s’habiller, il s’assoie sur la chaise/tabouret, face au public]
Faire l’acteur ? Le fou. Le jongleur ? Jouer à se mettre hors jeu, hors la vie, faiseur d’artifices, le nain-jaune, le bouffon, le
joker,
l’amuseur, le révélateur, saleté de miroir. Pourquoi je suis pas dans la rue, sur
la place, à crier, à lancer des pavés dans la marre ?
Coups de pioches contre les murs... “Ich
bin ein Berliner” Sarajevo ou Santiago “El pueblo unido jamås sera vencido”
“C’est une maison
bleue...” Qu’est-ce que ça veut dire ???
Qu’est-ce que j’ai envie de dire ?
Albane.
...
“À la première lueur du jour, les gens du pays
s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le sacrifice. Les jeunes me portèrent le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au
cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses parois cent-vingt coudées. La longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai
fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties. J’ai enfoncé les chevilles marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai versé six sars de
goudron et six sars de bitume. Un sar d’huile pour enfoncer les chevilles marines et deux autres sars d’huile que le batelier garde en réserve. J’ai mis les perches et chargé les provisions.
Chaque jour, pour la nourriture des gens, j’ai fait égorger les bœufs et les moutons. J’ai offert aux artisans le jus des vignes, le vin rouge, le vin blanc et la bière pour qu’ils en boivent
comme l’eau du fleuve. Enfin, j’ai fait une fête, comme le jour du nouvel an. Je me suis lavé et frotté les mains avec l’huile.
Au septième jour, la construction du bateau était terminée.
J’ai porté dans le bateau tout ce que je possédais. L’argent et l’or, je les ai portés. Tout ce que j’avais d’espèces vivantes, toute ma famille et mes
parents. Les bêtes domestiques et celles de la plaine. Tous les artisans, je les ai fait monter aussi. Le dieu UTU-SHAMASH, le soleil, la lumière du ciel m’a fixé le moment précis et m’a dit :
Lorsque le soir, celui qui tient les tempêtes fera pleuvoir la pluie de malheur, entre dans le bateau et ferme la porte.
Quand le moment fut venu, je regardai le ciel. Il était sombre et effrayant à voir. Alors, j’entrai dans le bateau et fermai ma porte.”
...
C’est
fait. Gagné ! [crié]
Souffle, respire, laisse pisser.
Tu tiens le bon bout. Tu tiens le bon bout.
Respire, c’est fini... Pour aujourd’hui...
Envie de
pisser.
Putain d’envie de pisser...
[il sort, bruit de chasse d’eau]