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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 09:50
Une comédie de yve bressande


                La nuit de l’équinoxe Léa et Benjamin s’en vont repeupler le monde, laissant Xavier et  Adèle en tête à tête. Adèle a l’œil qui brille et Xavier n’est pas contre ce petit vent de printemps. L’arrivée impromptue de Cathy, la voisine du dessus, jette un froid réfrigérant sur cette fin de soirée et oblige à jouer les prolongations. Il faut faire sortir Larissa de là ! Une panne d’électricité n’arrange ni ne calme la situation, bien au contraire…
Un ange électricien surgit hors de la nuit ! La sève monte… Enfin, l’aube du grand soir se lève.


« On y va ? — On y va ! »


Synopsis

    Acte I
    Scène 1 : La fin du jeu.
    Scène 2 : Le bébé de Léa.
    Scène 3 : Ça ne coûterait pas si cher…
    Scène 4 : Mille ans dans le frigo.
    Acte II
    Scène 1 : Je ne veux pas sortir !
    Scène 2 : L’ange électricien.
    Scène 3 : Zut… déjà.
    Scène 4 : Y a l’téléphon qui son…
    Scène 5 : La révolte des gueux.
    ÉPILOGUE
    On y va ? ! …

Personnages

Léa : 27 ans  
Branchée, dynamique, rieuse. Elle est heureuse, pour elle la vie va de soit, l’avenir est plein de promesses. Elle a un boulot à mi-temps, pas de problèmes de fric.

Benjamin : 33 ans
Grand, allure sportive, il est prof de quelque chose scientifique dans le supérieur. Il a programmé sa vie, études, boulot, femme qu’il aime, maison, enfants, loisirs… retraite.
Il a fait un stage avec Adèle, ils se connaissent depuis la fac.

Il font le choix de la tranquillité et de la sécurité, quelque part du conformisme.


Adèle : 37 ans
Femme posée, réfléchie, décidée, positive.  Elle a le sens de l’humour et ne s’en départit pas. Il se pourrait que cette nuit soit un tournant de sa vie…
Elle a connu Xavier dans les manifs et réunions politiques, elle a un peu décroché depuis. Elle n’aurait pas été contre avoir un enfant, même que si…
Elle travail en free lance comme conseillère en développement personnel et motivation… c’est elle qui fait bouillir la marmite.
Stable jusqu’à l’arrivée de Vivien…
Puis montée, de + en + expansive, c’est sûr, sa vie va singulièrement se compliquer…

Elle fait le choix du changement et de l’action.

Xavier : 45 ans
Intello bavard, a réponse à tout, reste serein quoiqu’il arrive, mais souvent à côté de la plaque.
Il écrit des articles, des nouvelles et autres scénarios qui se  vendent très mal.
Militant révolutionnaire depuis 20 ans, tendance anar.
Très sûr de lui au début, rieur, sens de l’humour, dynamique, boit beaucoup… trop.
À l’arrivée de Vivien, il est déjà un peu bourré, il entame sa descente. Dans la dernière scène, son aigreur et son impuissance transparaîssent…

Il fait le choix de l’autruche, du discours stérile. Conduites suicidaires (alcoolisme, sida).

Cathy : 35 ans
Intelligente et sensible mais enfermée dans son “bene vole” — “Bonne sœur laïque”, militante humanitaire.
Travaille dans le sociale. Elle a recueilli Larissa chez elle à sa sortie de cure de désintox. N’a pas l’habitude de boire, s’est laissée entraîner par Larissa.
Elle flotte entre deux eaux puis se reprend au moment de partir.

Ne fait pas de choix partisan, tous le monde a le droit d’être sauvé.

Larissa : 22 ans
Look punkette destroy chic.
Paumée, alcoolo, camée, hystérique tendance nympho, reste néanmoins sympathique. Elle a suivi une cure de désintox, apparemment sans trop de résultat, elle boit beaucoup trop. À fond tout le temps, elle a pris de l’ecstasy en début de soirée. Descente dans la dernière scène, elle est ivre et fatiguée.

Elle fait le choix du “frigo”, peur et refus de l’avenir — puis celui de la jouissance de l’instant. No futur…


Vivien : 27 ans
Grand beau gosse.
Chômeur, exclu, militant révolté, anar. Il sait très bien ce qu’il fait et où il en est.
Il a suivi Larissa pendant quelques jours, c’est une position de repli après l’attentat.
Il reste lucide et calculateur, s'enthousiasme dès qu’il parle de Sa révolution.

Il est sûr d’avoir fait le bon choix !


Acte I

Scène 1

Xavier : Jack       Léa : Alicia         Benjamin : Peter       Adèle : Maureen

La scène démarre sur la fin d’un “jeu sur canevas” policier.
Les personnages sont désignés par leur nom dans le jeu.
Alicia porte une perruque. Elle entre, traverse la scène une petite bourse à la main, elle la met dans la poche d’un manteau. Un coup de feu claque. Alicia hurle et s’écroule. Jack entre précipitamment, il a une pipe à la main.



JACK : Qu’est-ce que c’est ? Alicia ! Ça va ? Tu es blessée ?

ALICIA : J’ai mal, Jack. Le salaud !

JACK : Ne bouge pas. Laisse-moi voir.

ALICIA : Non, ne m’touche pas, aïe !

PETER : Peter entre. Qui a tiré ? Vous avez entendu ? Alicia…

ALICIA : Fumier ! C’est lui, c’est Peter, j’en suis sûre. Aïe !

PETER : Moi ! Tu es folle ! J’étais en train de bouquiner dans la bibliothèque.
Il montre un livre. C’est grave ?

JACK : Je n’ai pas l’impression, elle est touchée au bras. On va l’emmener à l’hôpital.

Entre Maureen. En peignoir, pieds nus, une serviette de bain entoure ses cheveux.

MAUREEN : Alicia ! Mon dieu… Elle se précipite sur Alicia, repousse Jack. Mais elle saigne ! Ma pauvre chérie, tu vas pas mourir, dis ? Qui c’est qui t’a fait du mal ? On ne peut pas la laisser se vider. Ne restez pas plantés là comme des asperges de printemps ! Il faut appeler le SAMU. Alicia, comment tu te sens ?

ALICIA : Je crois que ça va aller, aide-moi…  merci.
S’adresse à Peter. Ordure ! Tu pensais m’avoir, et pouvoir filer avec le magot, hein ? Je te connais mieux que tu ne le croies… espèce d’hypocrite, égoïste… Aïe !

MAUREEN : Ne t’énerve pas, tu te fais du mal.

JACK : Tu l’as vu ? Tu es certaine que c’est lui ? Peter, c’est toi ?

ALICIA : Qui veux-tu que ce soit ? Le pape ! Regarde dans la poche de son manteau. La preuve est là. Depuis le début, je me doutais, rien qu’à voir sa mine de faux-cul polymorphe.

Jack va vers le manteau, fouille et sort la bourse.

MAUREEN : Merde… ! Les diam’s de la vieille…

Jack revient vers la table et vide la bourse, elle est pleine de “pierres précieuses”.

PETER : Non mais vous êtes dingues ! C’est un coup monté. C’est trop facile. Vous me prenez pour un débile profond ? Je n’aurais jamais /… fait une bêtise pareille.
(Au signe / … les répliques se chevauchent, Maureen attaque sur “jamais”.)

MAUREEN : La lettre volée… nous aussi on connaît nos classiques.

JACK : Résumons la situation. Il n’y a que toi et Maureen qui ayez pu tirer. Alicia, évidemment non. Moi j’étais dehors. Je n’ai matériellement pas eu le temps de faire le tour.

MAUREEN : J’étais sous la douche, j’ai entendu le coup… les cris, alors…

ALICIA : Ne t’en fais pas Maureen, personne ne t’accuse. Je sais bien que ce n’est pas toi. Tu n’aurais jamais pu.

Jack examine les pierres une à une.

JACK : Émeraudes, rubis, saphirs… il y en a pour une petite fortune, sauf qu’elles ne sont pas taillées. Il s’agit de nuggets en verre coloré. Des pierres brutes, ce n’est pas facile à écouler.  Et surtout, pas de diamants.

PETER : Il faut trouver la faille, le truc qui cloche. Maureen, quelle drôle d’idée de prendre une douche maintenant ?

ALICIA : Fiche-lui la paix connard, t’es foutu. Jack, casse-lui la gueule.

JACK : Attends, il était question de deux millions d’euros. Pour atteindre cette somme, il faut autre chose que de la verroterie. J’avoue que moi aussi je trouve le coup du sac dans la poche un peu tiré par les cheveux.

PETER : Tu vois Maureen, ça ne prend pas, l'appât est trop gros pour être avalé en une seule bouchée.

MAUREEN : Non mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ! Vous êtes tous devenus maboules ou quoi ? Alicia, dis quelque chose !

PETER : Maboule qui roule fait sa pelote… Qui mieux que toi avait intérêt à mettre ces cailloux dans ma poche, hein ?

MAUREEN : Je vais te /… les faire bouffer.

PETER : Me faire accuser, et garder les diam’s… Banco sur toute la ligne !

MAUREEN : Vous n’allez pas le croire. Alicia, tu vas pas croire ce type, dis. Il est fou, regarde ses yeux. Jack…

JACK pipe au bec : C’est forcément l’un de vous deux, on n’en sort pas. Si c’est toi (Maureen) qui l’as mis, pourquoi tirer sur Alicia ? Faire accuser Peter tout en créant une diversion pour qu’on ne cherche pas le reste des pierres. Peter n’aurait pas pris le risque de garder ces babioles dans sa poche. Sauf si tu (Peter) as planqué les diamants ailleurs. La partie émergée de l’iceberg, pour brouiller les pistes. Mais dans ce cas, pourquoi tirer sur Alicia ? Et si c’est vraiment toi, tu l’aurais tuée. À cette distance, même dans la pénombre… à moins que…

MAUREEN : Arrêtez ! C’est pas drôle. D'abord j’ai jamais su me servir d’un pistolet. Même pour un milliard je l’aurais pas assassinée, et fait du mal à Alicia.

ALICIA : Je la crois, elle ne tuerait pas pour de l’argent, alors que lui.

PETER : Sincèrement, tu m’imagines capable de tuer pour du fric ? Tu me déçois Alicia, mais maintenant je sais à quoi m’en tenir. Ça aura au moins servi à ça.

JACK : Tu avoues ?

PETER : Rien du tout ! Ce n’est pas moi. Quand j’ai, je partage ! Mais bon sang !

Il fonce sur Maureen et lui arrache la serviette qu’elle a sur la tête.

PETER :  Je vous l’avais bien dit qu’elle ferait une erreur !

MAUREEN : Quoi ?

PETER : Regardez, elle a les cheveux secs !

Jack s’approche de Maureen, lui touche les cheveux. Maureen se recule.

MAUREEN : Laissez-moi ! Non… je… j’avais un bonnet de bain !

PETER : Alors pourquoi la serviette ?

MAUREEN : … je… j’ai paniqué, je sais pas… une habitude…

PETER : Laisse-moi deviner. Tu entends le coup de feu, tu sors de la douche, tu prends le temps d’enfiler un peignoir, d’enlever le bonnet, de nouer la serviette. Je n’oublie rien ?

MAUREEN : Vous êtes tous siphonnés, c’est du mauvais cinoche série Z ! Alicia, j’t’en supplie, ne les laisse pas…

ALICIA : Tu n’as pas fait ça ma petite Maureen ? Explique-toi. Si ce n’est pas Peter… l’arme, où est l’arme ?

Maureen éclate d’un rire hystérique, sort le pistolet de sa poche, les menace et disparaît en courant.

ALICIA : Salope ! Aïe !

PETER : Elle n’ira pas loin, il faut prévenir la police… et te soigner Alicia. (…)

Tous les protagonistes se décontractent, quittent leur personnage, des cris fusent. Alicia enlève sa perruque.

Scène 2

Adèle — Xavier  — Benjamin — Léa

Adèle/Maureen revient sous les applaudissements. On se congratule. Retour à un quotidien festif. Grande complicité entre Xavier et Adèle, la distribution des rôles dans le couple est connue et jouée par les deux.

ADÈLE : Benjamin, tu m’as eue comme une bleue, je n’allais tout de même pas prendre une vraie douche.

XAVIER : Pourquoi pas… à peine une poignée de secondes de plus, et… Hé ! Tu es comment sous ce peignoir ma douce Adèle ?

ADÈLE : Arrête, Xavier ! Bas les pattes, gros dégueulasse. Bon, je vais me changer, j’en ai pour deux minutes. Elle sort.

BENJAMIN : On a méga bien joué ce soir, c’est un de nos plus réussis ! Qu’est-ce que vous en dites ? Classique mais béton. Les personnages ont fonctionné à donf du début à la fin.

XAVIER : C’est vrai, pour une fois j’étais vraiment dedans. Je le sentais jusqu’au bout du gros orteil.

LÉA : Oui, Adèle est vraiment extra, elle trouve toujours de ces trucs, elle devrait écrire des pièces.  Xavier pose sa pipe.

BENJAMIN :  C’est digne de ton prochain bouquin, Xavier ! Je te soupçonne même de  récupérer des idées en douce. Je t’imagine te précipitant sur ton ordi dès que nous aurons le dos tourné.

XAVIER : Autrement dit, elle ferait mieux d’écrire et moi de faire le guignol…  
C’est ça ?

LÉA : Ne boude pas mon bichounet, tu as été parfait ce soir. Et il est indéniable que tu as un petit talent pour la comédie.

XAVIER : Et voilà, elle se paye ma tête… pas moyen d’être sérieux cinq minutes.

LÉA : Sérieux ? Sérieux… qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Tu connais ce mot-là, mon chéri ?

XAVIER : Ouais… Sauf que pour la fin, je suis prêt à parier le champagne que vous vous êtes concertées en cachette pour arranger le coup, ce n’est pas possible autrement. Trop beau et trop bien ficelé. J’ai raison ?

Léa prend la pose, répond sur le mode déclamatoire grandiloquent façon tragédienne XIXe siècle.

LÉA :  Horreur ! M’accuser de trahison ! C’est trop injuste, regardez-moi, innocente colombe que je suis. Retour d’Adèle. Aaah ! je souffre.

ADÈLE : Vous avez recommencé un nouveau jeu ?

LÉA : Adèle… tu n’imagineras jamais… ton mec ose insinuer que nous aurions arrangé la fin.

ADÈLE : Nous ? Sous prétexte qu’on a été meilleures que vous, il faudrait qu’on ait triché, c’est ça ?

LÉA : Quel malheur, quelle injustice, comment laver cet affront ?

ADÈLE : Dans le vin, je ne vois pas d’autre solution.

LÉA : Alors, soyons fortes, Adèle.

ADÈLE : Xavier, va chercher une bonne bouteille, et ne reviens que quand elle sera débouchée.

XAVIER : Ça roule…

BENJAMIN : Je te suis, on ne sera pas trop de deux pour choisir.

Ils sortent. Léa ramasse les pierres et prend une cigarette, Adèle installe des verres.

LÉA : Tu n’as pas vu mon briquet ?

ADÈLE : Non. Tu étais vachement bien ce soir. Je te trouve en pleine forme. Pour le coup du pistolet et des pierres, Xavier et Benjamin se doutent de quelque chose. Mais après tout, si on ne s’amuse pas un peu… et sans ça nous y serions encore.

LÉA : Ouais, j’ai la super pêche !… Et puis ce n’est pas la première fois qu’on met les pouces, je suis certaine qu’ils n’y ont vu que du feu, pan !

ADÈLE : Ce sont deux vrais gamins, je me demande s’ils seront adultes un jour ? Enfin, surtout Xavier…

LÉA : Il faudrait que j’arrête de fumer… Tu sais… on s’est enfin décidé,  moi je voulais depuis longtemps. Mais Benjamin, lui… il repoussait tout le temps.

ADÈLE : Vous allez faire un gosse ! C’est vrai ? Ce que tu as de la chance. (…) Tu es déjà /…  enceinte ?

LÉA : Chuuut… Non, et on n’en a encore parlé à personne.

ADÈLE : Ce serait pour quand ?

LÉA : Ben… si tout se passe bien… je me sens conne de t’en parler, mais…

ADÈLE : Quoi ?

LÉA : Tu devines pas ? On est quand ?

ADÈLE : Quand… quand ? Tu veux dire cette nuit !

LÉA : La nuit de l’équinoxe, la nuit du printemps. Chuuut…

Xavier revient avec la bouteille ouverte.

XAVIER : Rosé de Provence frais juste comme il faut, ça ira ?

ADÈLE & LÉA : Oui, oui… Elles pouffent de rire.

XAVIER : Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

ADÈLE : Non, rien, fais le service. Tu as perdu Benjamin ?

XAVIER : Vous complotiez pour le scénario du mois prochain, je me trompe ?
Ce sera ton tour, Léa. Il va falloir assurer.

Nouveau fou-rire des deux femmes. Retour de Benjamin.

BENJAMIN : Pourquoi vous riez ? Vous parliez de moi ?

XAVIER : Non, c’est quand j’ai apporté le rosé.

BENJAMIN : Je vois pas le rapport.

XAVIER : Moi non plus.

Xavier distribue les verres.

ADÈLE : Au printemps, à un avenir radieux, et joyeux Noël !

BENJAMIN : À la vie, à l’amour.

XAVIER : À la chute du capitalisme.

LÉA : À nous, au monde, et… buvons !

Ils trinquent et boivent.

LÉA : Il n’est pas mauvais du tout, très fruité, du parfum, du corps…

XAVIER : De la cuisse… Il mate les jambes de Léa.

LÉA : Xav, ne profite pas de toutes les occasions, s’il te plaît, c’est fatiguant à la fin…

BENJAMIN : Le mois dernier, Xavier, t’étais encore au fond de ta grotte, pas moyen de t’activer les neurones. Alors qu’aujourd’hui, on ne te tient plus.

ADÈLE : Et nous avions été obligés de remanier le canevas au moins deux ou trois fois avant que ça tourne à peu près rond. Tu te souviens ?

XAVIER : Sûr qu’il est plus facile de découvrir un assassin que de faire sauter la tour Eiffel en plein milieu de l’invasion des troupes chinoises. Comment voulais-tu qu’on arrive au bout. Un vrai alambic ton truc !

BENJAMIN : Je maintiens que c’était jouable et qu’il était très possible de faire péter la tour Eiffel. Il suffit de te construire ton histoire dans ta tête, de trouver tes motivations, de faire vivre ton personnage en situation. Un peu comme un logiciel de simulation, du virtuel au réel. Après, tu peux décoller.

XAVIER : Facile à dire…  Il suffit… Il suffit…

LÉA : À Benjamin Il a raison, une enquête policière, ça tourne autour d’un centre de gravité, non, de rotation… un axe, un pivot… tu vois ce que je veux dire ? Tout le monde a le même point de repère : le cadavre. C’est vrai que c’est beaucoup plus simple qu’un voyage spatio-temporel en compagnie d’un milliard de Chinetoques.

BENJAMIN : L’arrivée des Chinois à Paris le jour du Mardi gras, c’était un truc en or pour lui, mais non… tu as besoin de tout savoir avant. Le jeu c’est pas comme écrire un roman, c’est du “direct live”, tu ne sais pas où les autres vont te mener. Il faut être en permanence prêt à tout.

XAVIER : C’est chaque fois la même rengaine, bon, je ne suis pas comédien, c’est dit. Pour ce qui est des Chinois, excuse-moi mais ça fait un moment qu’ils sont passés à l’économie de marché. Alors ton péril jaune paléo-communiste à la sauce Mao, dans le genre ressucé…

LÉA : Monsieur est anarchiste ! À Benjamin Tu sais bien… les grands idéaux, l’autogestion, la responsabilité individuelle, le partage des richesses…
À Xavier Mais si l’avenir n’est ni à l’Est, ni à l’Ouest ? Où est-il ?

XAVIER : Au Sud. C’est évident.

BENJAMIN : À condition qu’il ne crève ni de faim, ni du sida, ni de guerre civile, sans parler d’ébola et de la désertification.

LÉA : J’y suis ! Les aborigènes d’Australie débarquent en jouant du didjiridu, l’arme magique du Pacifique.

XAVIER : Qu’est-ce que vous avez tous après moi ce soir ?

ADÈLE : Quoi ? Elle a raison, les aborigènes, c’est un bon point de départ pour le mois d’avril. J’ai un CD de didjiridu. J’en ai un autre de musique pygmée. Il nous manque un chaman mongol et son tambour et des chants de sorciers amérindiens. En quadriphonie, ce sera irrésistible.

LÉA : Adèle, je t’adore ! Les méchants vaincus par la musique, comme dans “Mars attaque”. L’avènement d’un monde nouveau guidé par les sons venant du fond des âges.

ADÈLE : Les opposants combattraient avec des mobylettes, des aspirateurs et des tondeuses à gazon.

BENJAMIN : Tu oublies les moines tibétains et le bruit des marteaux-piqueurs.

XAVIER : Ce sera une superproduction métaphysique. Les empires médiatico-commercials Pour la rime avec ancestarles . vaincus par les ondes ancestrales. La revanche des esprits sur le matérialisme militaro-monétaire. La /…

BENJAMIN : …victoire en chantant ! Alicia tu… Léa, tu as pris des notes, j’espère ?

Nouveau fou-rire.

LÉA : C’est bon, Captain Peter, tout est enregistré. Je vais vous concocter un de ces gloubi-boulga à la sauce multimédia, vous m’en direz des nouvelles !

BENJAMIN : Vous vous rendez compte que ce soir nous avons tenu presque deux heures non stop.

LÉA : Ouaouuuu ! Et quelles heures sont-elles ?

BENJAMIN : Vingt-trois et quarante-cinq minutes.

XAVIER : Il est printemps moins le quart.

BENJAMIN : À printemps plus une, nous filons dans les étoiles.

XAVIER : Y a rien qui presse, il faut boire le vin quand il est tiré.

ADÈLE : Et le diable par la queue…

Nouveau fou-rire des deux femmes.

XAVIER : Bon, je crois que pour ces deux-là, la dose prescrite est atteinte.
Vous avez des projets pour les vacances de Pâques ?

BENJAMIN : Non, rien de précis pour l’instant.

XAVIER : Maintenant que tu es titularisé, tu ne peux plus nous faire le coup du mec débordé, qui ne peut pas prendre de vacances, et patati et patata.

LÉA : Je me ferais bien une petite croisière en voilier, dans les îles…

ADÈLE : Pas mal… Et nous, quels sont nos projets… de vacances ?

XAVIER : (…) Quand j’aurais les moyens de m’acheter un ordinateur portable… et tu sais bien que je n’ai pas le pied marin.

ADÈLE : C’est cela oui… la stratégie de la fuite à reculons.

XAVIER : Un, je ne suis pas une langouste. Deux, au moins je ne risque pas d’être pris par derrière.

LÉA : Houuuu ! Avis de tempête force vingt-deux. Je sens que ça dégénère. Benjamin, est-il printemps ?

BENJAMIN : Moins deux, mon amour.

LÉA : Dans trois, on s’envole.

ADÈLE : Bon voyage, mes petits pigeons, ne vous perdez pas dans la nuit.

BENJAMIN : J’ai ma boussole… Fée Clochette, es-tu prête ?

LÉA : Parée, mon prince.

Ils s’habillent, se disent au revoir, se font la bise. Benjamin et Léa s’en vont.


Scène 3

Adèle — Xavier

Ambiance plus intimiste, fin de soirée à deux.

XAVIER : Un petit coup avant d’aller au dodo ?

ADÈLE : Non… on va finir pétés mon grand. Viens (…) C’est drôle, des soirs comme celui-là sont vraiment bons, ce petit vent de printemps dans la tête, je me sens super bien. Regard pétillant sur Xavier.

XAVIER : Vent frais, petit vin frais, petit câlin, jusqu’au matin, tsoin tsoin tsoin… Qu’est-ce que tu dis de mon programme fin de soirée ?

ADÈLE : Y a pas à zaper, ça me va au poil. (…)
On a l’air un peu de vieux cons, non, à jouer nos petites pièces, entre nous, le troisième samedi du mois ? (…) Tu ne trouves pas ?

XAVIER : Tu oublies que c’est toi et Benjamin qui nous avez transmis le virus. Vous étiez enragés en rentrant de ce fameux stage. Et si mes infos sont exactes, tu ne t’en sers toujours pas dans ton boulot.

ADÈLE : Tes infos commencent à dater mon chéri. (…) Tu en connais d’autres comme nous ?

XAVIER : Qu’importe, tant qu’on y prend du plaisir… c’est toujours mieux et plus original que la belote ou les petits chevaux ! (…) En buvant de la camomille, tu nous imagines ? Là, oui, il y aurait du souci à se faire.

ADÈLE : Tu as raison. Quand même… de vraies vacances… ça ne coûterait pas si cher.  

XAVIER : Si tu le dis…

ADÈLE : C’est tout vu, je te ferais faire de l’exercice, de la marche, tous les grands écrivains adoraient la marche à pied. Ils disaient que c’est bon pour l’inspiration.

XAVIER : Je sais, je ne suis pas grand… et peu d’écrivains adorent marcher sur les mains… Et je n’ai pas de chaussures.

ADÈLE : La mauvaise foi ! Je ne te parle pas de cirque, ni d’un trek au Népal, mais de s’oxygéner, tout, la tête, les poumons… le foie, puisqu’on en parle.

XAVIER : Le nez et la bite au vent… Tu vises le tableau ?

ADÈLE : Très bien, oui… de l’air, de l’air… (…) tu sais… ?

XAVIER : Quoi ?

ADÈLE : Léa… elle m’a dit que Benjamin était d’accord pour avoir un enfant. Quand ils auront un bébé…

XAVIER : Et allez donc ! Elle te l’a dit ce soir ?

ADÈLE : Oui, tout à l’heure, quand nous étions seules.

XAVIER : C’était couru d’avance, le garçon, la fille, une bonne assurance-vie, et… attendre sereinement la retraite.

ADÈLE : T’es toujours aussi nul. (…) Et puis nous ne sommes pas si vieux, nous deux… Il y a parfois des nuits magiques, de celles où tout peut arriver… (…)  
Et abracadabra !

XAVIER : Mettre au monde un gamin dans ce merdier, c’est pas un cadeau.  Il finira asphyxié par la pollution ou esclave du “mondial power”. Dans le meilleur des cas, il bouffera des MacDos en buvant du Coca. Joyeuses perspectives.

ADÈLE : Et ta révolution, qui est-ce qui va la faire, hein ? Et si c’est toi qui la fais, qui c’est qui en profitera ?

XAVIER : Bon sang de perlinpinpin, je sens que le programme s’allonge. Sauve qui peut ! Les femmes, les femmes, et encore les femmes d’abord, et vive le new Baby Booom ! Allez zou, le “der des der” avant de larguer les amarres, et hop !


Scène 4

Xavier — Adèle — Cathy

Cathy fait irruption dans la pièce, l’air fatiguée et désappointée.

CATHY : B’soir. Elle s’affale dans le canapé.

XAVIER : Bigre, notre sainte Bernarde préférée qui joue les somnambulettes.

ADÈLE : Bonsoir Cathy, tu n’as pas l’air dans tes raquettes.

XAVIER : Veux-tu le secours d’un petit coup de rosé populaire ?

CATHY : Pouffff, t’es toujours aussi drôle, Xav. Mais fais gaffe, vieux, si un jour Adèle te plaque, tu seras peut-être bien content de venir la bouffer, ma soupe.

XAVIER : T’as encore passé ta journée à charger des sacs de riz ?

CATHY : Laisse tomber… C’est la Bérésina là-haut, faut que vous m’aidiez !

ADÈLE : Un problème avec Larissa ?

CATHY : Elle s’est enfermée dans le frigo. Elle refuse d’en sortir. Elle dit qu’elle veut hiberner jusqu’en l’an 3000.

XAVIER : Déjà que t’es assistante sociale à plein temps, tu te ramènes du boulot à domicile. T’as pas un peu l’impression de faire des heures sup ?

ADÈLE : Lâche-la cinq minutes. Allez, Cathy, raconte-nous. Dans le  frigo, c’est ça que tu as dit ?

CATHY : Oui, à l’intérieur. Elle a tout foutu en l’air et elle est entrée dedans, elle a claqué la porte et pas moyen de la faire bouger.

XAVIER : J’y crois pas ! Elle est vraiment géniale, cette petite.

ADÈLE : Elle était dans quel état ?

CATHY : Ben, on était en train de boire un coup pour se remonter le moral.

ADÈLE : Belle réussite. Elle avait rien pris d’autre ?

CATHY : (…) Si, elle avait gobé une pilule d’ecsta.

ADÈLE : Ben voyons !

XAVIER  : Je me disais aussi.

ADÈLE : Elle y est depuis combien de temps ?

CATHY : Je sais plus, on discutait du troisième millénaire, elle est allée à la cuisine, elle ne revenait pas… j’suis allée voir, c’était le bazar et elle était dedans. J’ai essayé de discuter, de la tirer, rien à faire, elle veut pas. Elle dit qu’aux États-Unis y a plein de gens dans des chambres froides.

ADÈLE : Okay, pas de panique. On monte avec toi, on la sort illico, une bonne douche bien chaude, et hop, dans les plumes.

Adèle se lève et entraîne Cathy…  

XAVIER  : Attendez-moi !

Xavier suit.

Noir.

suite sur demande… yve.bressande@free.fr

© yve bressande / BLANKAS POÉSIE - TRIVELIN THÉÂTRE décembre 1997


“Printemps plus un !” est une comédie de situation, ce ne sont ni le texte (en tant qu’objet littéraire), ni les personnages, stéréotypés (Bel-inconnu, Voisine, Sauvageonne, etc.) qui sont moteurs du jeu.
C’est l'enchaînement des situations / rebondissements (la fin du jeu, l’annonce, la panne, l’apparition, etc.), qui entraîne vers la chute finale.
Le jeu ne doit à aucun moment tomber dans le psychologisme, ni dans le drame social. Il faut comprendre et jouer les situations, extérioriser le texte et les idées. Les personnages en eux-même sont secondaires. Il n’y a pas d’enjeu de pouvoir entre eux. Ils se connaissent, ils sont bien ensemble, et peut-être jouent-ils à se donner le grand frisson.

 Nous sommes dans l’esprit du théâtre de tréteaux, de la farce, de la Comedia dell’arte, du conte de fée, du jeu dramatique enfantin. C’est un bouquet de feu d’artifice qui dure une heure ! Un fil tendu entre le début et la fin, avec une seule et unique intention, jouer et s’amuser ! L’ambiance est festive, c’est l’équinoxe de printemps. La sève remonte, c’est une nuit de renaissance, de changements, de grande marée, du “Tout est possible”. Et si vous voulez, en plus c’est la pleine lune.
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Mise en bouche en souffle en 3 2 1 …

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(enregistrement artisanal par l'auteur)
La version audio est parfois différente de la version texte.
La raison pourrait en être une persistance des brumes textuelles.
Les poèmes sont des plaques tectoniques, ils bougent, se choquent, s'entrechoquent, emmagasinent de l'énergie, cela produit des failles de sens, des cratères néologiques, parfois aussi des tremblements de vers, des tsunamis sémantiques…