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9 mai 2008 5 09 /05 /mai /2008 08:42
Le début dans la rubrique Textes / Roman


                    La vallée de la Saône, au nord de la ville, il est environ seize heures, lumière dense, écrasante sur les nélufars, ce qui ne gêne nullement une famille de cygnes qui descend le courant à la queue leu leu, quelques canards colverts barbotent, inconscients de la menace.
Une voiture avance lentement, passagers attentifs, un couple, ils cherchent quelque chose ou bien quelqu’un. Ils passent devant l’usine à bouffe post-moderne de Polo Bocul sans y prêter attention, ils roulent en direction de Saint-Rambert l’Île-Barbe. C’est la femme qui conduit, elle agite les mains et parle fort.
— Tu n’as rien de plus précis ? Une petite maison au bord de l’eau avec un jardin derrière. Tu parles d’une info !
L’homme est plus maître de lui, il n’arrive toutefois pas à dissimuler la peur qui anime son regard. Il voudrait pouvoir se concentrer, lui dire d’arrêter de piailler, qu’après tout elle n’est pas plus maligne qu’un autre. Des maisons avec jardin et vue sur la Saône il n’y en a pas des tonnes, la villa Tony Garnier, quelques châteaux reconvertis en maisons de retraite. Pour le reste, ce sont des friches ou des immeubles récents.
— Tu aurais au moins pu essayer de leur faire dire où ils la planquaient. Autant chercher une meule de foin dans… Et puis zut ! Et si ce con me fait encore des appels de phares je m’arrête et je descends lui en coller une.
L’homme soupire, n’ose pas penser à la réaction des autres en le voyant débarquer à l’improviste sans mot de passe ni instruction. Il prend de gros risques. Il essaie de la calmer.
— Ne t’énerve pas. Je te dis qu’on va y arriver.
— Je ne m’énerve pas ! Mais si jamais ils lui ont fait du mal, je t’arrache les yeux, les testicules, je fais cuire le tout à petit feu et je te les fais bouffer !
Il l’imagine en pagne, un os dans le nez, dansant autour d’une marmite fumante, lui en train de cuire ; le monde à l’envers. Pourtant il a fait tout ce qu’il a pu pour éviter le pire.
— Le mec Niarcos, ce n’est pas une fillette. Il n’allait pas me filer l’adresse juste parce que je la lui demandais gentiment. On devrait traverser au prochain pont et revenir par l’autre berge. Je ne pense pas que ce soit si loin.
— Comme tu voudras, c’est toi le guide.
— Nous ne sommes pas dans la brousse. Ne dis pas de conneries, s’il te plaît.
Ils virent au pont de Neuville et reprennent la direction de Lyon, croisent l’île aux Vaches, déserte, puis l’île Roy, toutes deux uniquement accessibles en bateau. Ils respectent scrupuleusement le cinquante à l’heure au grand déplaisir de ceux qui les suivent.


        Au commissariat central Pierre-Nicolas passe un sale quart d’heure. Resucée d’un mauvais polar de série D. Après un interlude en compagnie de l’identité judiciaire, clic-clac c’est dans la boîte ! Les doigts propres, plus d’encre, ses empreintes ont été photocopiées. De nouveau la cellule, une nouvelle paire d’heures avant qu’on l’emmène enfin dans une autre pièce où trois hommes l’attendent de pied ferme. Le décor est en place, bureau, lampe, pour un interrogatoire serré auquel il ne comprend pas tout. Il se demande même si on ne le confond pas avec quelqu’un d’autre. Les flics savent quelque chose qu’ils veulent lui faire dire, mais lui ne voit pas bien quoi. Il a beau répéter qu’il ne connaissait pas Isabelle Plantier et qu’il n’a vu Maria Chamrave qu’une seule et unique fois. Ils insistent.
Il pense avoir compris qui a informé ces messieurs. Il se demande ce qu’elle leur a raconté, et pourquoi est-ce qu’elle lui en veut à ce point ?
Je n’ai vraiment pas de pot avec les femmes !
Seule maigre consolation, la perplexité des policiers devant l’article de Nathalie. Ils aimeraient bien savoir comment cette reporter a fait pour connaître, avant même qu’ils ne l’arrêtent, l’existence d’un suspect et son interpellation ? L’un d’eux, plus perspicace, émet l’hypothèse qu’il pourrait y avoir deux affaires en une et par déduction deux suspects.


        À l’hôpital, le capitaine est au chevet de Papanopoulos, il essaie d’obtenir des réponses à ses questions. Le Grec, encore vaseux, a du mal à rassembler idées et souvenirs. Il situe Lyon au bord de la mer et évoque une croisière dans les îles. Le policier hésite à employer la manière forte. Un interne assiste à l’interrogatoire. Les minutes s’égrènent.
Assise sur un banc, Nathalie prend le soleil et quelques notes.
Tel un diable de sa boîte, Dorno jaillit hors du bâtiment, il gesticule et crie :
— Mademoiselle Zarena !
Elle sursaute.
— Il a craché le morceau. À moitié dans les vapes, je ne suis même pas certain qu’il ait compris à qui il causait. Suivez-nous, je préviens les collègues par radio.
Cette fois c’est un départ façon vingt-quatre heures du Mans, à l’ancienne, course à pieds vers les autos, claquements de portières et vroum !


        En bord de Saône, pas de croisière, plutôt un train de sénateur. Le couple poursuit son curieux manège et génère un embryon de bouchon. D’un coup ils ralentissent de plus belle car il vient d’invoquer le nom du seigneur ! La villa au bord de l’eau est là, sous leurs yeux. Piteuse mine, elle semble inhabitée, voire abandonnée, tous volets fermés. Ce que constate déçue la chauffeuse.
— Et alors ? Tu croyais trouver Maria au balcon ?
Non, évidemment, mais peut-être un signe de vie. Elle clignote et se range, au grand soulagement des panurges à roulettes.
Lui sent un léger frisson courir le long de son échine. Tout correspond. La ruelle, le jardin…
Ils sont garés sur le bord du trottoir une vingtaine de mètres en aval. La conductrice coupe le contact. Un temps. Hésitation sur la conduite à tenir, qui y va en premier, lui pense-t-elle, il préférerait qu’elle l’accompagne. Elle argumente, propose un scénario.
— Tu dis que tu viens de la part de Niarcos, qu’il a eu un empêchement et qu’il faut changer de planque. Dès que c’est d’accord, tu me fais signe, j’arrive. Simple, non ?
Il hésite, simple, simple, c’est elle qui le dit. Lui sait qu’il risque sa peau sur ce coup, et pour quel bénéfice ? Il se maudit de ne pas avoir dit à Maria de fiche le camp et prévenu les autres qu’il la connaissait, qu’elle ne dirait rien.
—Tu fais quoi ? Tu te décides oui ou non !
Il s’extirpe de la voiture et marche vers la maison, ne quitte pas des yeux les volets clos. Arrivé à hauteur, il jette un œil en arrière. Rien ne bouge. Il frappe à petits coups secs. Aucune réponse. Nouveaux coups. Toujours aucun signe de vie.
La maison fait angle avec le quai Clemenceau et l’impasse de l’Écluse. Écluse qui aujourd’hui sert de port de plaisance. Un mur, on devine un jardin. Côté impasse, un portail. Il le secoue, essaie d’ouvrir. Fermé. Il revient sur ses pas, regard circulaire, tout est calme. Pauline lui fait signe d’y aller. D’une seule détente, il se hisse et se laisse tomber dans le jardin. Fouillis de hautes herbes et de ronces, laissé à l’abandon depuis longtemps. Il se fraye lentement un passage. Un volet double fermé de l’intérieur. Il toque, colle son oreille contre le panneau de bois. Toujours le silence. Il sort un couteau de sa poche et crochète le volet.
Dans la voiture, la femme attend. Elle tapote le volant, une cigarette éteinte entre ses lèvres. Son regard se promène, la Saône est au plus bas, nouvelle année de sécheresse, des herbes verdâtres ondulent lentement à fleur d’eau. Par deux, quatre, huit, des rameurs s’entraînent. Plusieurs clubs d’aviron ont leur siège par ici. Presque en face l’île Barbe, république autonome en forme de coffre-fort posé sur l’eau. Ses yeux se fixent sur la berge opposée, deux flashs bleus avancent à vive allure, elle les suit du regard, les voit virer au pont de l’île et entamer leur traversée. Contact, elle s’éloigne doucement, alors qu’approchent les véhicules de police.
Dorno et Nathalie sont derrière, la Twingo prend la place encore chaude. En quelques instants, la maison est cernée. Les policiers forcent le portail, empruntent le chemin tracé il y a quelques minutes à peine. Ils trouvent le rez-de-chaussée ouvert, personne en bas, du bruit dans l’escalier.
Inquiet, l’homme redescend.
— Pas un geste, mains sur la tête ! Vous êtes coincé !
Revolver au poing, Dorno et ses collègues ont surgi. L’inconnu semble complètement hébété. Il lève les mains et n’offre aucune résistance. Ses premiers mots sont :
— Il n’y a personne.
Il ne ment pas. Seule de la vaisselle sale et des cadavres de bouteilles témoignent de l’occupation récente des lieux.
Dorno réapparaît sur le trottoir, Nathalie se précipite.
Il lui apprend qu’ils ont trouvé un type à l’intérieur, un noir qui apparemment cherchait lui aussi quelqu’un.
— Le Grec a menti. Ou alors il délirait ?
Le capitaine dresse le tableau de la situation. Du monde a séjourné récemment dans la maison, une ou plusieurs personnes, si Maria était là, ils ont pu la changer de planque n’ayant plus de nouvelle de Papanopoulos.
Un groupe sort de la maison, l’un des hommes porte des menottes.
— Regardez-le ! Vous ne le connaissez pas par hasard ?
— Non, jamais vu. Il faut l’interroger.
— La P.J. va s’en occuper. Vous venez avec nous ?
— Bien sûr !
Dorno en profite pour jouer un pion sur la dame.
— Nous pourrions peut-être voir ce que je peux faire pour votre ami « Kanto » ?
Nouveau départ, tout en douceur…


        L’interrogatoire de Pierre-Nicolas se poursuit. Les policiers ne lâchent pas leur proie. Ses dénégations répétées n’y font rien.
— Écoute, mon bonhomme ! Tu ne vas pas nous jouer encore longtemps le coup de celui qui ne sait rien. Depuis le début, on ne rencontre que toi. Aux Pâquerettes, au Lézard Bleu… Et ce fameux accident devant le portail des Chamrave, ou peu s’en faut ! On vient d’identifier le conducteur, du beau linge celui-là. M. Angelo Papanopoulos ! Ça ne te dit rien ? C’est de lui que parle la journaliste ? Et c’est par toi qu’elle a su ?
Il est K.O. assis, de quel article lui parle-t-on, et si c’était Nathalie qui… le flic enchaîne, pas de répit.
— À l’heure qu’il est, il mijote dans le cirage. Quant à Isabelle Plantier, tu ne la connais toujours pas, l’agence d’intérim M.E.D.I.N, ce n’est même pas la peine d’en parler !
Un autre interrogeur prend le relais.
Le Gav’ est bien embêté pour se justifier. Il perroquète inlassablement qu’il leur a déjà tout dit en long, en large et en travers. Que le type dont parle Mlle Zarena dans son article, c’est bien le chauffeur de la voiture avec laquelle il a eu un accident. Oui, c’est lui qui a prévenu la journaliste, il la connaît, ils enquêtent ensemble pour le compte de La Traboule. Tout cela est vérifiable, il suffit de demander Nathalie Zarena à La Traboule. Quant à Isabelle Plantier, ils étaient certains qu’elle était le nœud de l’affaire, le point de départ, alors forcément, ils voulaient savoir qui elle était, pour éventuellement retrouver la piste de Maria Chamrave.
Reste l’agence d’intérim. Pierre-Nicolas ne sait pas. Ne connaît pas cette agence. Ne sait même pas ce que veut dire ce sigle. La réponse, au moins une, est : Médical Intérim. En façade, infirmières, aides-soignantes, etc., mais aussi masseuses, esthéticiennes d’un genre un peu spécial, et Isabelle Plantier travaillait régulièrement pour cette officine.
— Et moi, je me tue à vous dire que je ne connais ni l’une ni l’autre. Pourquoi et par qui a été tuée Isabelle Plantier ? Répondez à cette question et vous saurez ce qu’est devenue Maria.
— Non mais écoutez-le, il veut nous apprendre notre boulot, je rêve !
Le troisième flic, qui semble être le chef, se lève, fait le tour du bureau. Il passe dans la lumière, approche son visage de celui du suspect.
— Il se fout de notre gueule ce petit con !
Il l’attrape par le col et le secoue comme un prunier.
— Tu nous prends vraiment pour des caves ? Alors dis-moi pourquoi ton adresse n’est pas aux Pâquerettes. À qui payes-tu ton loyer, là-bas ? Rien que pour ça, on peut te garder au frais un bon moment.
Il ne répond rien. Il commence à se dire que pour lui, la merde monte et qu’il n’est pas loin de boire la tasse.
— Un dernier détail. On est allé visiter ton ancien appartement à la Grande-Côte, il n’est pas bien joli à voir, tu aurais pu nettoyer un peu avant de partir, et dire au revoir à ton proprio. Il sera content d’apprendre qu’on t’a retrouvé, car tu n’as pas oublié que tu lui dois une petite somme à ce brave propriétaire ! Et ceux qui ont commencé ton déménagement, ils cherchaient quoi ? Tu peux me le dire ! Pas ton ours en peluche ni ton paquet de capotes. Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup pour un seul petit couillon de ton espèce ?
Il le laisse tomber, poupée de son, toute molle. Une minute de silence. Puis brusquement :
— Voilà le marché. On oublie pour un temps ces broutilles, y compris les remboursements que tu mets dans ta poche quand tu fais le guignol devant les marmots. Mais tu nous rencardes sur les femmes Plantier et Chamrave. Tu m’entends ?
La porte s’ouvre d’un coup. Un grand type entre en gueulant qu’il y a du nouveau, qu’on amène du monde. Encore un copain à ce monsieur, une drôle de Pâquerette, toute noire.
Le commandant regarde Pierre-Nicolas avec un sourire bien denté.
— On va voir cette fois si tu continues à faire le malin !
Pierre-Nicolas ne s’attendait pas à retrouver Zico les menottes aux poignets. Il essaie de déchiffrer, de débrouiller les fils. Car si cet oiseau est mazouté, Pauline l’est aussi. Il ne parlera pas d’elle, ou alors elle serait là. Il décide de tenir sa ligne, en dire le moins possible, rester dans le rôle du benêt.
Zico joue à fond la carte de l’erreur judiciaire, et en rajoute pour qui veut l’entendre. Un vrai griot. « Chemin faisant, me promenant au bord de l’eau, je passe devant la maison en question, présentement j’entends crier, j’identifie une voix de femme. Je frappe à la porte, j’appelle, aucune réponse ne me parvient. J’insiste, je pense que peut-être il y a quelqu’un en danger. Je secoue la porte, elle est bien trop solide. Je décide alors de passer par derrière. Je suis très surpris, en visitant les lieux, de constater qu’il n’y a personne à l’intérieur. C’est tout. Présentement je ne sais rien de plus. Je vous le jure ! »
Les policiers n’en croient pas un mot.
— Arrête tes histoires. C’est que du flan. Tu cherches à gagner du temps, à noyer le poisson et à protéger tes complices. L’autre zèbre là, ne fait pas de difficulté pour te reconnaître. Hein !
Il interpelle Pierre-Nicolas qui ne se fait pas prier pour confirmer qu’effectivement ce monsieur  habite aux Pâquerettes. Qu’ils se sont croisés à plusieurs reprises et se saluent en bons voisins. Ce que confirme Zico. Qu’aux Pâquerettes il y a une vraie vie de quartier, que la solidarité n’est pas un vain mot et…
La coupe est pleine. Le commandant passe au chapitre suivant.
— C’est bon ! Et Pauline André ?
Zico blêmit, autrement dit vire au chocolat rance, demande s’il peut avoir un verre d’eau. Pierre-Nicolas ne remarque pas le trouble et répond qu’il l’a rencontrée le même soir que Maria. Elles étaient ensemble. Depuis, il ne l’a revue qu’une fois ou deux, et lui a à peine adressé la parole.
Le triumvirat se concerte et décide d’un interrogatoire séparé des deux loustics. Zico est emmené dans un autre local. Pierre-Nicolas dans sa cellule, il commence à s’y sentir presque à l’aise. On lui signifie la prolongation de sa garde à vue. Le commandant précise que compte tenu des antécédents de M. Angelo Papanopoulos il pourrait tomber sous le coup de la loi antiterroriste, ce qui changerait le résultat de l’addition finale. À lui de réfléchir. Ce qu’il fait.
    Je donnerais cher pour être dehors et savoir ce qui s’est passé. Que devient Pauline ? Que fait Nathalie ? À cette heure elle doit être au courant de mon arrestation ? Où est Maria ? Enfin bon, je suis quitte pour passer la nuit ici, c’est à peine moins confortable que chez moi. Chez moi…


        Nathalie et le capitaine sortent du commissariat. Elle  aurait voulu parler à M. Sorin, cela n’a pas été possible. L’affaire est plus grave et plus complexe qu’elle ne l’imaginait, il est question de lien avec une organisation terroriste. Nathalie n’en croit pas ses oreilles. Non, pour elle Pierre-Nicolas n’a pas l’envergure d’un poseur de bombe, à moins qu’il ne soit manipulé ou utilisé comme bouc émissaire. Elle fait part de ses réflexions au policier, il pense que ce Pierre-Nicolas « Kanto » ne dit pas tout. D’après ses collègues c’est un personnage trouble, son casier  est vierge mais il n’a actuellement aucune adresse légale ni de travail fixe, il est par ailleurs fiché comme ayant été un militant actif dans les mouvements de chômeurs et d’intermittents du spectacle.
Le capitaine pose la question à la journaliste : Que sait-elle de lui ?
Elle avoue qu’elle ne sait rien, un ami le lui a présenté, c’était l’occasion pour elle de publier un article d’investigation. Elle a bien remarqué qu’il avait parfois un comportement étrange, elle évoque la sortie au Lézard Bleu, mais à part cela…
— C’est Pauline André qui a renseigné la P.J. Il semblerait qu’elle le connaisse beaucoup mieux que vous.
Moue dubitative de Nathalie, elle commence à douter de la sincérité de son informateur favori. Qui a-t-il vu l’autre soir ? Pourquoi ne lui a-t-il rien dit, et pourquoi n’a-t-elle pas insisté pour savoir ?
Dorno, protecteur, lui pose une main sur l’épaule.
— Le mieux que vous ayez à faire, c’est de rentrer chez vous, de vous reposer. Je vous appellerai dès qu’il y aura du nouveau. D’accord ?
Pas de réponse.
— Écoutez, mes collègues vont cuisiner Aristide Bienveillant, alias Zico, et Angelo Papanopoulos. Après ils verront pour votre… ami ?
Elle sent le scoop lui échapper, c’est maintenant que tout se joue, elle a encore une longueur d’avance, au moins sur la concurrence.
    Est-ce que je dois aller parler à Pauline ou attendre qu’il soit sorti ? À moins que je n’aille la voir dès ce soir. Je me pointe chez elle et… Je ne la connais pas, elle ne me connaît pas, ma seule introduction c’est l’autre zozo, mauvaise pioche. Pour Maria, et si c’était mon article qui les a fait fuir de leur planque ? Pauline André pourrait m’en vouloir… quel sac de nœuds. Bon, il n’a pas fini de me coller l’autre là. Garde-le dans ta manche, c’est un bon filon. Elle se dégage en douceur et lui fait face.
— Croyez-vous qu’ils puissent faire du mal à Maria ? Je veux dire, à cause de moi, de mes papiers.
Réponse normande et diplomatique.
— Peut-être oui, peut-être non. Ont-ils même lu cet article ? L’accident de leur complice a dû précipiter les choses. Ne vous faites pas de souci, l’enquête progresse, et je vous l’ai déjà dit, je vous tiendrai informée.
Elle ne paraît pas convaincue, pour elle il faut continuer à chercher, faire un vrai boulot d’investigation. Elle a trop fait confiance à Pierre-Nicolas, et pourtant, elle sent qu’il est au cœur du mystère, que c’est par lui que cette histoire tordue trouvera son dénouement.
— Je devrais peut-être retourner voir Françoise Dunoyaux, elle sait, je suis certaine qu’elle sait. L’avez-vous fait surveiller ?
— La P.J. s’en occupe, ne vous inquiétez pas. Et s’il vous plaît, restez à l’écart, ce sont des gens dangereux. Vous avez vu de quoi ils sont capables, je n’ai pas envie de retourner à la pêche. Croyez-moi, je vous tiendrai au courant heure par heure. Quoi qu’il arrive !
Elle concède que pour ce soir, il a sans doute raison. Elle consulte sa montre. Il est encore assez tôt pour faire passer un nouvel article, elle a un peu de grain à moudre mais il lui faut faire vite.
En bon chevalier servant, Il se propose pour la raccompagner.
— Ce n’est pas la peine. Je connais le chemin. Merci. À demain.

En arrivant au journal, elle apprend que Bob a déjà pissé la copie.
Folle de rage elle se précipite dans le bureau du rédac-chef. S’en suit une homérique dispute, elle résiste, argumente et finit par l’emporter, ses informations sont plus récentes et de première main.
Elle s’installe devant son ordinateur et commence à rédiger. Les dernières phrases de Medvenitch résonnent dans sa tête.
« Dites le minimum, des faits, rien que des faits, pas de spéculations, préserver toutes les chances de retrouver Maria Chamrave rapidement, et vivante. La famille est influente, je ne veux pas avoir un procès sur le dos »
Mission accomplie, Medvenitch donne le feu vert.

Sur le chemin du retour, elle s’achète un kebab et le mange en marchant. Place Saint-Nizier, lumière entre chien et louve, un homme en uniforme est en faction devant l’entrée de son immeuble.
Elle frissonne, s’avance.
    Qu’est-ce qu’il y a encore ? Je commence à en avoir marre, j’aimerais bien qu’on me laisse en paix cinq minutes.
Le gardien de la paix l’interpelle.
— Mlle Zarena ?
Aïe, c’est pour ma pomme.
Elle opine du chef.
— J’ai une mauvaise nouvelle. Votre appartement a été cambriolé cet après-midi. Votre voisine nous a prévenus, nous n’avons pas eu le temps de vous joindre.
Soupir, elle avale une bouchée et suit l’agent. Il la prépare à ce qu’elle va découvrir, lui dit de ne pas prendre peur, tout est en l’air, du travail de professionnel. Dans l’escalier il se retourne et lui demande si elle est bien assurée. Elle hausse les épaules, bouche pleine, il n’y avait rien de grande valeur chez elle.
— Tout de même, vous allez voir.
Ils arrivent sur le palier, elle fait un pas dans l’appartement.
Elle reste muette, pétrifiée et éclate en sanglots. Sous ses yeux, vision d’apocalypse, de haine, acharnement à faire le mal, à faire mal, plus mal qu’une blessure dans la chair. La bibliothèque est renversée, les livres déchirés, les plantes vertes dépotées et réduites en charpie, les disques éparpillés et piétinés, la chaîne stéréo défoncée. Plus rien n’est intact, coups de couteau dans les tableaux, dans les coussins. La chambre a elle aussi subi le passage des barbares, le matelas est éventré, les tapisseries et la moquette lacérées, les vêtements transformés en lambeaux. Dans la cuisine, la porte du frigo a été arrachée, bouteilles vidées, boîtes de conserve ouvertes et répandues sur le sol. Rien, absolument rien n’a échappé au carnage.
Nathalie pleure, sa gorge lui brûle, ses yeux lui brûlent, impression que quelqu’un est en train de l’étrangler, qu’une main s’agrippe à son cou et serre, serre inexorablement.
L’agent redresse une chaise.
— Asseyez-vous, reprenez vos esprits. Si vous voulez que je vous dise, ce n’est pas un cambriolage ordinaire. Cela ressemble plutôt à un règlement de comptes. Vous ne voyez pas qui pourrait vous en vouloir au point de…
Elle craque, qu’on la laisse tranquille, qu’il parte, elle veut être seule !
Ses traits sont tendus, ses lèvres tremblent, elle serre les poings. Il essaie de la rassurer, il comprend, le choc est dur à encaisser, mais… Le regard de Nathalie est si tranchant, si froid, qu’il coupe la parole.
Le gardien de la paix révise son stage de psychologie des victimes, ne retrouve pas le bon chapitre.
— Bien. Je vais vous laisser. Veuillez signer ce papier, s’il vous plaît. Vous passerez demain matin au commissariat. Nous enregistrerons votre plainte, si toutefois vous désirez porter plainte.
Elle signe et le pousse vers la sortie.
La voisine est en robe de chambre, son chat angora dans les bras, elle assiste au départ de l’agent. Nathalie lève les yeux sur Mme Sidonie.
— C’est moi qui les ai prévenus. En descendant César, j’ai vu votre porte entrouverte, j’ai appelé, personne ne m’a répondu, je me suis permis de pousser, et je vois, un vrai ouragan. Je vous jure, j’étais chez moi tout l’après-midi, je n’ai rien entendu. Rien du tout. Et César n’a pas bronché, incroyable, non ? Avez-vous besoin de quelque chose ? Si je peux rendre service.
Nathalie esquisse un quart de sourire pâlot, la présence de madame Sidonie lui fait du bien, elle la remercie. Celle-ci propose.
— Voulez-vous venir un moment chez moi ? Je vous offre un petit remontant, juste une goutte.
Trois cognacs bien tassés, un coup de fil au serrurier, Nathalie, la haine au ventre, retourne à La Traboule, persuadée que ce qui vient de lui arriver est directement lié à son enquête sur la disparition de Maria.
    S’ils croient m’intimider de cette façon, ils se trompent. Je ne suis pas du genre à me laisser faire et encore moins à me taire. Ah ! On veut entraver la liberté de la presse ! S’ils s’imaginent que c’est facile, ils vont comprendre leur erreur. Medvenitch n’a pas intérêt à me mettre des entraves dans les pattes, je lui casse les dents s’il le faut. Je devrais peut-être appeler… non, plus tard, il ne ferait que me retarder en posant mille questions.

à suivre...
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(enregistrement artisanal par l'auteur)
La version audio est parfois différente de la version texte.
La raison pourrait en être une persistance des brumes textuelles.
Les poèmes sont des plaques tectoniques, ils bougent, se choquent, s'entrechoquent, emmagasinent de l'énergie, cela produit des failles de sens, des cratères néologiques, parfois aussi des tremblements de vers, des tsunamis sémantiques…