Le paysage est somptueux, rugueux, sombre, ténébreux, beau,
collines landes, végétation rase, ciel bas, et bien sûr les ruines du château.
L'oeil part à la recherche, un peu anxieux, le regard glisse sur la surface brillante, au loin, rien. On s'y attendait un peu, pas de miracle, pas d'apparition.
Quoique, là, près de la berge, dodelinant, flottant, à la dérive, seul ; il tourne sur lui-même, l'oeil vif, le bec rouge vif, petit canard jaune vif.
Il n'a peur de rien, ni de personne, il flotte, incomestible.
As-tu été oublié là, perdu là par un enfant distrait, par un enfant effrayé, par un enfant terrorisé, par un enfant dévoré, englouti, noyé ?
Forcément ta présence n'est pas anodine !
C'est un signe. Tu n'es pas un cygne.
Où sont tes parents, petit monstre ?
Es-tu arrivé par les airs ?
Es-tu remonté des profondeurs abyssales ?
Tu n'es pas noir, si encore tu étais noir, petit canard jaune, on aurait comme un doute, on supputerait de noirs desseins.
Canard vole ! Canard nage ! Canard plonge !
As-tu volé un jour au-dessus du miroir ?
As-tu exploré tous ses recoins, tous ses mystères ?
As-tu plongé ? Qu'as-tu vu sous la surface ? Au dessous du miroir, dans les profondeurs noires ; une ombre, une silhouette furtive.
Viens, approche, raconte un peu, depuis combien de temps es-tu là ?
Tu ne dis rien, approche petit ; il n'entend rien, ne comprend rien ;
se déchausser, tremper un pied dans l'eau du lac, elle est froide, trop froide, paralysante, elle n'est pas noire, le pied est là, on le voit, posé sur les graviers.
Petit, petit, en douceur, attraper la bestiole, elle ne résiste pas, la tourner et retourner dans sa main, la soupeser, légère. L'oeil fixe, hypnotisé (?).
Es-tu un appelant pour canard mutant ?
Es-tu un leurre pour attirer Le Monstre ?
Es-tu fils du monstre ?
Es-tu avatar du monstre ?
Es-tu monstre toi-même ?
Bébé monstre d'une modernité plastifiée, d'un monde de cartes postales, objet dérisoire et désuet.
Petit canard jaune sur les eaux sombres du Loch Ness.
Tu n'es pas Donald, tu ne lui ressembles pas, tu n'es pas président, un canard avec une moumoute blonde ça n'existe pas, un monstre président des États-Unis d'Amérique ça n'existe pas !
Les monstres sont dans les cirques, au cœur des villes, au fond des lacs & des océans profonds, les monstres sont dans nos cauchemars... il ne sont jamais président, ne peuvent pas devenir présidente !
Que faire de toi ? Te laisser repartir, seul ; t'adopter et peut-être faire entrer une parcelle de monstre en moi.
yve bressande / Monstres C 30 / 19 03 2017