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25 février 2008 1 25 /02 /février /2008 18:11
MM1-copie-1.jpgmon premier n’est pas à vendre
mon second n’a pas de prix
mon tout ne fait qu’un













perdre le fil
continuer de tisser le vide
le cul entre deux rêves
choisir d’être pauvre
revendiquer le droit de vivre
devenir riche est bien trop fatiguant
 
Aurillaspect.jpg

Canoe1.jpg
 
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20 février 2008 3 20 /02 /février /2008 18:40
Bonjour,

vous voici sur le blogue perso de Yve Bressande.

Poète diseur de poésie, écriveur bricoleur voleur passeur de mots…
Vous trouverez des poèmes, des nouvelles, du théâtre et un roman (inédit à ce jour) qui sera publié en feuilleton. Si vous accrochez au début abonnez-vous à la News pour lire la suite !
Et aussi une ébauche de journal photomatonesque en cours de construction...

Au départ, l'idée était de réaliser un blogue sonore. Il semble que ce soit difficile voire impossible. Les poèmes, le théâtre, mais aussi certaines des nouvelles sont écrits plus pour être entendus que lus… Essayez donc la lecture à haute voix !

Et j'allais oublier alors que c'est quand même un des buts du jeu.
Laissez des commentaires, je pourrai les lire, les autres lecteurs aussi et ainsi peut-être naîtra un blogue polylogue polymorphe polyglotte en restant toujours poli.

C'est parti !

Parents attention, certains textes … les enfants.
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15 février 2008 5 15 /02 /février /2008 11:17
I

Écrire nu sous un lampadaire
à trois heures du matin
insommnuit

sauter du lit
pour ne pas perdre  la le
regarder vers le bas
ventre rond et blanc
les pieds dans le flou
un poil grotexque
lapsus grotesque mais bien réel lui

«être l’être inexacte»
réminiscence non identifiée

écrire nu

aller/retour     et oublier
oublier ce pourquoi quoi    écrire
espiègerie de neurones     de mémoire
et retour au lit  au noir  toile grise

Laisser les lunettes sur le bord du clavier
sûr de les retrouver
et se sauver - Pomme «S»
s’apercevoir que l’on est hors de
c’est tout
c’est pas grave, c’est juste un en dehors du
de l’autre, d’un,
mettre des virgules,
c’est important, les virgules,

arrêtez de vouloir être exacte,
obsédant,   trouver la référence,
laissez vivre la part du, le trouble dans,
l’inexactitude attitude,
pour, oui pour, c’est bien «pour»,

un poète est mort ce soir
comme le lion, un vieux, un peu détraqué
jouet cassé, répétitif, re réécrire   chronosique
et un autre hier, jeune, beau, talentueux
quelle merde

Les noirs qui passent ont le crâne rasé, brillent,
synchronicité, sans trop savoir ce que cela veut dire,
en bruit de fond, voix, acteurs de,   théâtre,
France Cul en sourdine,
mettons encore une virgule, pour voir,
comme au poker,

menteur
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15 février 2008 5 15 /02 /février /2008 10:38


Boire du café                                                            Boi un ti café
Pour ne plus dormir                                                   Pou py dormi
Boire du café                                                            Boi un ti café
Pour ne plus dormir                                                   Pou py dormi
Boire du café                                                            Boi un ti café
Pour ne plus dormir                                                   Pou py dormi
Plus une seconde de sommeil                                     Py un second de sommeil
Plus une seule seconde de sommeil                            Py un seul second de sommeil
Plus une seconde à perdre                                         Py un second pou perd
Plus une seule seconde de perdue                              Py un seul second pou perd
Boire du café                                                            Boi un ti café
De plus en plus   de plus en plus de café                     Pluse en pluse   pluse en pluse café
Pour ne plus dormir                                                   Pou pa dormi
Pour épuiser le temps                                                Pou fatigue lo temps
Pour épuiser le corps                                                 Pou fatigue lo corps
Pour épuiser le cœur                                                 Pou fatigue lo coeu
Pour y puiser la pensée                                             Pou y attraper pensée
Vivre chaque instant temps                                        Viv tou lo instant temps
Prendre le temps le                                                  Prend lo temps lo
Tendre chaque instant temps                                    Tend  tou lo instant temps
Étirer étirer étirer le                                                 Tir tir tir lo
Temps du monde     tant de monde                           Temps pour lo mond  tant do mond
Tant de monde à                                                     Tant do mond y
Connaître le monde  tout     le monde                        Connai to mond   tout mond
Ne rien louper                                                         Rien louper
Ne rien laisser filer                                                  Rien laisser aller
Ne rien laisser passer                                              Rien laisser tomber
Encore boire du café                                                Encor boi un ti café
Jusque là   jusqu’à la   jusqu’à la dernière                 Jus’là  jusc’la  jus l’dernié
Seconde de  Seconde du   Seconde                           Un ti second   second  second
Seconde Seconde                                                    Second   second
Goutte  Goutte de  Goutte  Goutte à                          Un ti gout   un ti gout de   ti gout
L’ultime goutte de      Temps                                    Dernié ti gout pou lo     Temps

Épuisé                                                                     Fatigué



 à Pti Pierre                                                            (version créole de la Réunion sans garantie)


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14 février 2008 4 14 /02 /février /2008 16:17
UTNAPISHTIM


[Scène d’intérieur, genre studio, un grand miroir, un tapis, une chaise/tabouret ; dessus des vêtements propres, pliés ; un patère, une serviette de bain, une bouteille d’eau minérale. Caché sous un tissus tendance ocre marron un vélo d’intérieur. Ce vélo dispose d’un réglage de puissance qui simule les accidents de terrain, de roue libre à escalade de cols, et d’un compteur de vitesse.
Au début, pénombre qui permet juste de distinguer les objets.
L’acteur entre en peignoir de bain, en trottinant façon boxeur, il s’étire, baille et se place devant le miroir, il boxe avec son image...
La lumière monte progressivement ou, c’est le personnage qui éclair...]

[il se regarde dans le miroir]

Bof...
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
À l’âge qu’il avait il était peut-être chauve ?
En tous les cas, toi mon petit vieux, je voudrais pas dire mais tu prends du ventre. Encore un peu et tu pourras jouer les Bouddha.
...
Ouf ouf ouf, échauffement.
... Assouplissement... La forme !
... Aïe ! Plus rouillé qu’une girouette millénaire. J’te donne pas dix ans pour finir à la casse.
... [exercices d’assouplissement façon gymnastique traditionnelle]
Recommence. Et que ça saute !
... ...
On va dire que c’est bon, assez chaud.
Maintenant, en voiture Simone. Roulez roulez...

[il enlève le peignoir, dessous un caleçon, puis il découvre le vélo et monte dessus. À portée de la main, son texte. Il était là, ou, le comédien l’avait à la main/poche en entrant, au choix]

Léger pour commencer, cinq petites bornes tout cool, terrain plat. Faut pas affoler la machine, le mollet souple, la cheville aérienne.

[il pédale tranquille, prend le texte, le feuillette et commence à lire]

L’ÉPOPÉE DE GILGAMESH !

PROLOGUE

“Celui qui a vu les confins du pays. Le sage qui a connu toutes choses, tous les secrets. Celui-là nous a transmis un savoir d’avant le déluge. Il a parcouru un long chemin. De retour, il grava dans l’argile le récit de son voyage. Il bâtit les remparts d’OUROUK et l’EANNA sacré, demeure d’ANOU et d’HISHTAR.”
Au sein de ces remparts naquit Gilgamesh, il fut crée par les grands dieux. UTU-SHAMASH le soleil lui accorda la beauté et ADAD l’éclair lui donna la vaillance. Pour deux tiers il est dieu, pour un tiers il est homme. Il est semblable à un taureau sauvage, sa force est incomparable, ses armes invincibles.
Quand il a vaincu le géant gardien de la forêt des cèdres et le taureau céleste, Enkidu était à ses côtés.
“Enkidu, toi mon frère, mon seul ami, né de l’argile, tu es retourné à la terre.”
Après les rituels funıéraires, Gilgamesh s’en va et erre à travers les plaines. Il se lamente et dit :
“Ne vais-je pas moi aussi, un jour, devenir comme Enkidu ?
Me voici par peur de la mort, errant dans les prairies vers mon aïeul OUTA-NAPHISTIM, le seul survivant du déluge qui a pu recevoir des dieux la récompense de l’immortalité, j’ai pris la route pour le questionner sur la vie et sur la mort, afin de découvrir auprès de lui le secret de la vie éternelle.”
...

Belle histoire.
...
Moi la dedans je suis l'ancêtre, le vieux de la vieille, l'antédiluvien... d'Yve à Noé ! Joyeuse perspective, mieux que le Paris-Dakar !
Mon petit gars, du haut de cette selle septante siècles te contemplent. Impressionnant.

[il laisse tomber le texte, pédale un peu plus vite]

Les voyageurs en partances pour destination incongrue. Embarquement immédiat.
...
Et adieu la cellulite !

[chanté]

Carmélite en cellulite
Je me tape une bonne cuite
Délit de fuite
Le plombier il est passé
Médor l’a arrosé
Délit de fuite
C’est juste une chansonnette
Je rote je pisse je pète
Délit de fuite Délit de fuite
pom pom pom...

Tu te prends pour qui là ?
Tu crois vraiment que tu peux jouer les jeunes premiers ? Les Belcanto bellâtre ? Le premier rôle ?
Premier... T’as jamais été, été comme hiver tu sera jamais. C’est la vie, c’est dans le sang, dans les gènes, et là où y a des gènes...
Bonté divine, cré vinzou, cornebleue !
Et le débile qui a dit “Les premiers seront les...”
Les petits devant ! Oui. D’abord.
Je vous l’avais bien dit. Suffit de tirer le bon numéro, le numéro d’acteur, bon acteur.
Il n’y a pas d’acteur pour le numéro que vous avez demandé. tut tut tut tuuuut.
...
Tout dans la tête. Tout dans les couilles.
Why des couilles ? pourquoi faire ? Faire quoi avec ?
Les actrices, elles !
Jouer la comédie ? La grande tragi-comédie, comic...
...
Tu ferais mieux de rentrer ton ventre.
Et de te tenir droit.
Dis bonjour ! Touche pas ton nez ! Sors les mains de tes poches ! Touche pas à ça, c’est sale ! Arrête de te gratter !
Apprendre à bien se tenir, à bien faire. Tenir debout. Apprendre.
Ce foutu texte. En final, trois pages d’affilées qu’ils m’ont filé, un vrai tunnel, j’arriverai jamais à le digérer, à me rentrer tout ce charabia dans les tripes, dans la caboche. C’est vrai quoi, j’ai jamais rien su
 faire de mes quarante quatre milliards de neurones, c’est pas aujourd’hui que...
C’est surtout pas le moment de déprimer, trois pages c’est pas la mer à boire, pour une fois que tu décroches un job, mon pauvre...
Faut te mettre en jambe, la mémoire qui flanche, ça va avec les jambes, question d’exercice.
...
Regarde toi. trente neuf printemps.
Encore heureux, pas trop de cheveux blancs. Juste un peu de gras.
De l'entraînement, c’est ce qu’il te faut, t’entraîner, dur.
Retrouver le souffle, les muscles, la mémoire, perdre le bide, les bourrelets.
Le sport y a que ça de vrai !
Bordel. Si je m’entendais dire des conneries pareil.
...
Chauffeur de taxi, Tu serais capable de la faire ? À la campagne ! Là où y a pas d’embouteillage. Oui, mais j’aime pas la campagne. Conducteur de métro. Tunnel, dernière station, station debout, couché, debout, couché, debout, couché... Un, deux, trois, un deux, une deux trois, accélère ! et couche toi là ! Et ferme ta gueule ! Et pourquoi pas baisse ton froc, ouvre bien grandes les fesses, ça va, ça vient ça va vite et ça rapporte gros !
Faudrait oser. Une fois. Pour voir ? Avec une bonne capote.
Fini de déconner, la pédale c’est pas ton truc, alors tu fais du...
Non, t’es vraiment trop nul, laisse tomber. Mets-toi au boulot.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais Shourouppak, la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis des temps très éloignés, les dieux  habitent. Un jour, les grands dieux ont décidés de faire le déluge. Ils ont tenu conseil.”
...
Conseil...
Fonctionnaire, il disait. Un concours, un bon métier, la sécurité.
Il avait peut-être pas tord ce vieux con.
Travailler, non, c’est pas possible, pas moi.
- Signez là, c’est votre avenir, la retraite garantie.
Ou alors pas avant quarante piges, avant d’avoir essayé, tout essayé, plutôt clochardiser. À vot’ bon cœur msieudames. À vot’ bon cœur. Ils puent trop vite, trop vite pourris, le train train ça rend blette.
...

“Il me dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Demande la vie sauve, rejette tes possessions, charge dans ce bateau la substance de tout ce qui est vivant.”
...
Dans le désordre on doit pas en être loin.
Rien que d’y penser je me bloque, c’est trop con, pourtant à l’école, j’avais pas mauvaise mémoire, en récitation, j’avais de bonnes notes.
C’est la bibine, la chopine, pour oublier, faut que j’arrête de picoler, d’oublier. La viande, les neurones, même combat.
Et c’est reparti.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis des temps très éloignés, les dieux habitent. Un jour, les grands bleus ont décid... Les grands dieux ont décidé de faire le déluge, ils ont tenu conseil. ENKI-EA, le dieu d’en bas, le dieu des eaux, le père des hommes, le sage et le connaissant... ...”
... ...
J’ai bien connu son père.
...
Regarde la ligne bleue des montagnes. Tu vois, demain il va pleuvoir. Quand il fera beau, on voit la neige.
~L’Euphrate... Passer l’hiver au chaud, à rien foutre, prendre un train, le mettre dans sa poche... C’est en Irak, l’Euphrate, peut-être pas bien le moment, attendre.
...
Pour avoir chaud et pour pas cher, il suffit de pédaler.
Cinq cent mètre à quarante.

[pédale à quarante au compteur, chanté façon French Cancan]

Lalalalalalalalalalalllal... ...

[bruit de moto   vroum vroum... pédale très vite]
...
“Il me dit : Démolie ta maison et construis toi un bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Sauve ta peau.”
...
Vaut mieux reprendre du début.
...
“Gilgamesh. Je vais te raconter un secret profond et mystérieux. Tu connais...”
...
Non, c’est pas ça !
Ces satanés mots, ces diablesses de phrases, ce sacré texte. Nom de Dieu ! Concentre, faudra bien qu’il vienne, t’as qu’à pousser, faudra que ça sorte, par n’importe quel bout.
...
“Gilgamesh. Je vais te dévoiler un secret profond eˇt mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville... Cette ville... Tu la connais la ville... Lalala ... Tu connais qu’elle...”
...
Je rote, je pète des bulles, y a que de l’air qui sort.
Souffle, inspire, souffle, inspire. Profonde inspiration.
Je m’appelle Polynime. A Z Polynime, fils, petit fils, arrière petit fils de l’antique polysème. Tout ça remonte au déluge. Connard de Noé, s’il avait bu la tasse, si son putain de rafiot il avait titanisé sur un ice-crime. Je serais pas là à essayer...
D’abord, quelle gueule il avait, rien ne dit dans les textes que c’était un petit gros le père Noé. Et quel âge il avait vraiment quand il a arrêté de mourir ?
Pourquoi j’ai été choisi, et pourquoi il veut que je me laisse pousser la barbe, peut-être qu’il se rasait tous les matins. C’est de l’interprétation, de la traduction abusive ! De la haute trahison ! Jetez-le aux lions !
...
“Il me dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa largeur égale sa longueur et en tout pareil pour sa hauteur...”
...
Un homme à la mer !
...
“Gilgamesh...”
...
Imagine un cul, un cul d’adolescente, presque encore une petite fille et que toi t’as envie de jouer au docteur, que plus tu pédales et plus il se rapproche, si tu faiblis, hop, il s’éloigne. Pense  à ça.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret.”
...
Une histoire de cul, oui ! Y a pas de secret.
...
Un aréopage d’aérophage piaffe d'impatience sur les quais d’une aérogare en partance pour nul part. [bis ter + + + vite]
Paaaaaaaaaart... Tout le monde descend... Roue libre... Ah la vache !
...

Et avec ça il croit qu’il va devenir beau ?
Beau mec. Devenir beau. Encore un truc pour enculer l’pauv’ monde, on naît beau ou nabeau, un point à la ligne, fermez la parenthèse, ligne bleue des montagnes lointaines. Lignes de fuites, droites ou pas tout à fait droites, de gauche à droite et lycée de Versailles. Et zig et zag et ZAP FM ! [hurler Zap FM]
Tu entends l’écho ? C’est ta voix qui revient, elle rebondit sur la falaise, comme une balle contre un mur.
Mon père il plaisait aux femmes, il a plu à ma mère et me voilà en train de pédaler, de faire défiler la paysage, - horizons perdus -. Bonne raison pour se taire.
... ...
Trente trois kilomètres à l’heure, c’est une moyenne, honorable.
- Il ira loin ce petit. Si il suit le droit chemin .
Tu parles.
Un jour il a attrapé une musaraigne, dans la neige, il l’a posée sur sa main, petite bête sauvage.
Pense à autre chose, tu vas pas nous la jouer nostalgie. Quand tu seras devenu grand riche et célèbre tu pourras penser aux femmes et écrire tes mémoires, en attendant remonte la pente, faut que tu recolles au peloton.
...
“À la première lueur du jour, les gens du pays s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le sacrifice. Les jeunes me portèrent le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses parois cent-vingt coudées. La longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties. J’ai enfoncé les chevilles marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai verché six... J’ai versé chi... J’ai versé six char...”
...
Articule bon sang, pense à ton nez, au négro, qu’avait le nez fin, spirituel... Mais de mauvais goût.
C’est peut-être pour ça, les femmes me trouvent mauvais goût. Mauvaise mine, de sel, de rien. Fade, attendre que je m’assaisonne, poivre et sel. Encore un peu vert. Encore un peu de patience. Attendre, toujours attendre, jamais fuir.
Je pourrais faire peut-être du commerce ? Octante nonante c’est Youpi, le grand marché la grande foire, amour et commerce ou commerce de l’amour ou amour du commerce ! Comment on dit - Libéralisme - en russe ?
Lui, il était colporteur.
...
Un aréopage d’aérophage piaffe d'impatience sur les quais d’une aérogare en partance pour nul part.
...
Ferme, reste ferme, du cran du courage du souffle et du cœur à l’ouvrage. Reprends du début, de juste avant le déluge, de quand y z’étaient là à attendre que ça fonde, qu’on crève tous la bouche ouverte le bec dans l’eau.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville ou depuis des temps...”
...
Merde, merde ! J’ai encore bouffé le nom de ce putain de bled.
...
Bon, calme, on ne s’énerve pas, et arrête de renifler !
Je te croyais pas si sensible, t’es pas une vieille chambre à air percée. Tu vas tenir le coup, tu vas pas te laisser mettre par ce p’ti con de metteur en scène ! Merde!!! C’est toi sur les planches, c’est toi qu’ils vont voir.
Reprends depuis le début, juste avant le déluge, quand ils sont tous là à t’attendre et que toi Noé tu te marres en douce au bord de la grande flaque, que toi tu sais et que eux ils vont crever.
...
[en silence, seul les lèvres bougent, puis murmuré]

“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais Shouroupak, la ville située sur le bord de l’Euphrate !”
...
Shouroupak ! Chou rouge en pack. J’l’ai eu. Salope !
Inspire, te laisse pas asphyxier, laisse toi griser, ivresse de l’oxygène du fin fond de tes gènes, de ceux du grand père Noé, de ceux d’avant le déluge, du temps où ils savaient pas encore et que toi tu sais, sais peut-être. Tu sais la bombe, prochaine station, prochain déluge d’électrons, de neutrons, électrolocution. S’éclater la gueule dans un miroir, pour une dernière fois se voir, onze mille milliards de fois.
Passionnant non ? Pédale mon vieux. Pédale.
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler le secret profond et mystérieux.”
...
Ce sera à en pisser de rire. À s’en faire péter le colon. Et après moi le déluge !
...
“Gilgamesh.”
...
Toujours un train de retard. Jamais là où il faut, à la bonne place, à la bonne heure. Ah ah ah ah... À la bonne heure !
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler le secret profond et mystérieux, ENKI-EA le dieu d’en bas le dieu des eaux, le père des hommes, le sage et le connaissant...”
...
T’y arrive pas j’t’dis. T’es qu’une infâme diarrhée, logorrhée, hyperménorrhée, plus qu’une fuite, en avant, en avant toutes ! Pour la grande hémorragie, finale !! À fond ! À fond les manettes pti gars !
... [pédale au maximum du possible]
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Là où les dieux habitent. Un jour, faire le déluge, le dieu des eaux le père de toutes les créatures. Une nuit, il descendit sur la terre se penche sur ma  maison et répéta, démolie, construis, abandonne, demande, sauve, rejette, préserve, charge, chargez !!!
...
Stoppez les machines !
T’es dingue ou quoi ? Tu débloques plein tube.
Arrête de dégueuler, de˙ te prendre pour le trou d’une chiotte, pour l’œil de cyclone, pour le nombril d’un monde décomposé.
Coupez. Coupez !
...
[il essuie sa transpiration avec ses mains, les renifle]
...
Beurk...
Tu te répands comme une vielle serpillière trop imbibée et qui peu plus, qui a jamais pu plus, qui peut pas en avaler plus, qui en peut plus de pédaler, et pas plus que ça. Et ça, ça dégouline, ça s’écoule, ça pisse, par tous les trous, ça pisse comme entre les jambes des femmes et c’est ça le vrai déluge, c’est ça qui a fait monter le niveau et que ça s’arrête jamais. C’est de là que Noé est sorti, c’est de là qu’il aurait du nous sauver.
...
Tu t’excites, tu t’exhibes, regarde toi, tu perds la boule, et boule qui roule et boulimique, y mythe, y mime, y-mes-nos-p’taire...
Reprends du début. De juste avant le déluge, tu sais bien, juste avant que la Bon dieu il se mette à pleurer tellement il avait raté son coup, alors rideau, comme les petits chats, il noie toute la portée, enfin presque. Même ça il a pas été foutu, ce vieux schnock mégalo parano.
...
“Au septième jour, la construction du bateau était terminée...”
...
Vidé, hein ? Tu arrives au bout, bout du rouleau, fini la route, fin du monde, le déluge, la xième glaciation, celle qui me glacera les os, qui me refroidira une bonne fois pour toute quand j’aurai fini. Fini et même plus envie de faire le con sur cette planète, sur cette scène, sur ce vieux rafiot pourri et tout rafistolé.
...
Tiens toi droit ! Rentre ton ventre.
...
[ça démarre comme un discours, dérive en chantant]

“Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa  largeur égale sa longueur et en tout pareil pour sa hauteur. À la première lueur du jour, les gens du pays s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le sacrifice. Les jeunes me portèrent le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses parois cent-vingt coudées. La longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties. J’ai enfoncé les chevilles marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai versé six sars de goudron et six sars de bitume. Un sar d’huile pour enfoncer les chevilles marines et deux autres sars d’huile que le batelier garde en réserve. J’ai mis les perches et chargé les provisions. Chaque jour, pour la nourriture des gens, j’ai fait égorger les bœufs et les moutons. J’ai offert aux artisans le jus des vignes, le vin rouge, le vin blanc et la bière pour qu’ils en boivent comme l’eau du fleuve. Enfin, j’ai fait une fête, comme le jour du nouvel an. Je me suis lavé et frotté les mains avec l’huile.”
...
Ça vient, j’y suis presque, suffit de laisser couler un peu, de lâcher du leste.
...
Waouuuu, le cœur y tape, hein... tape fort, très fort.
Pas le moment de me l’infarctuser, de me casser le cœur.
C’est que j’œuvre pour mon œuvre, pour gagner ma place, place au soleil, de l’histoire, du temps, de l’art, dollar, faire le singe pour gagner de la monnaie, plus trébuchante que sonnante. Me gagner mon bout d’éternité, mon petit paradis. Traverser le fleuve, rencontrer Noé et ne plus dormir, boire des litres et des litres de café, gagner un peu de temps, même un peu c’est quand même de l’éternité.
...
Et si je suis pas à la hauteur, que rien, noir, silence. Get out l’artiste !
Sifflets, tomates... Le bide.
Non, pas possible, je ne serai pas tout seul, et puis c’est juste un petit rôle, en plus au dernier acte, ce ne pourra pas être de ma faute.
...
C’est comme s’ils étaient déjà là, je les sens. Ils me regardent, ils me voient, avec leurs yeux. Si ils rient, c’est comme les hyènes. Leurs yeux brillent dans le noir, yeux de chirurgiens, de bouchers, de charognards. Ils attendent, ils n’attendent que ça...
...
Idées noires, pas bonnes, laisse tomber, pense à ton texte, pense à ton rôle, petit homme.
Pense au cul de la petite fille, concentre-toi, deviens lourd, plein jusqu’à la gueule, prêt à tout vomir. Et tu verras, ça va sortir.
...
“Au septième jour, la construction du bateau était terminée.
J’ai porté dans le bateau tout ce que je possédais. L’argent et l’or, je les ai portés.”
...
Je croyais qu’ilˇ devait laisser ses richesses, le vieux grigou, il en a profité pour mettre son pécule au sec.
...
“Tout ce que j’avais d’espèces vivantes, toute ma famille et mes parents. Les bêtes domestiques et celles de la plaine. Tous les artisans, je les ai fait monter aussi. Le dieu UTU-SHAMASH, le soleil, la lumière du ciel m’a fixé le moment précis et m’a dit : Lorsque le soir, celui qui tient les tempêtes fera pleuvoir la pluie de malheur, entre dans le bateau et ferme la porte.”
...
C’est bon !
...
Si ça marche, on aura des articles dans les journaux, on passera à la télé, sur France Culture, on partira en tournée.
Si ça marche, c’est pas de moi qu’on parlera. Ce n’est pas grave, ce sera bien quand même, y a pas d’âge...
Je m’appelle A Z Polynime, descendant de l’antique Polysème, inventeur des mots gravés, des mots qui restent, qui résistent, qui ressurgissent là où on ne les entend plus, ils s’insinuent, se glissent, se faufilent. Mots volés, attrapés au vol, vol de mots sur l’horizon lointain.
- Le fou, le fou
 du langage, le fou du langage du fou. Colporteur de mots je les charrie d’une oreille à l’autre, agence de voyage pour mots en mal de langue...
...
[la figure dans les mains]

Qu’est-ce que tu radotes ? C’est fini ce truc, c’était y a longtemps, mélange pas tout. Mélange pas tout.
...
Albane, pourquoi t’as disparu ? Pourquoi t’es partie ?
Tu viendras me voir, dis ? Tu verras les affiches et tu viendras. Et à la fin, après, dans la coulisse, tu seras là, je te verrais...
...
Et la tragi-comédie tourna au mélodrame-à-tic. [Mendelssohn]
...
Puffff... J’en ai marre... Marre de suer. Mais c’est bon.

[il descend du vélo, boit à la bouteille d’eau, s’adresse au miroir]

Tu t’es pas arrangé depuis tout à l’heure.
J’élimine, je me détoxine, je fonds, encore un peu et j
e retrouve la ligne.

[se douche avec l’eau de la bouteille]

Dernière ligne droite, ligne bleue des montagnes enneigées, ligne de mire, ligne du cœur.
...
[fin de la douche]

Des mots tout ça.

[dos au public, il enlève son caleçon, il est nu, il commence à se sécher]

Toujours les mots, j’en fini pas de les ingurgiter, de les déglutir, de m’en farcir la panse, de les débiter en tranches. À point ou saignant ? Toute cette sueur pour faire le clown, pour qu’on m’aime, pour l’illusion, le semblant, pour la gloire.
“Ma plus belle histoire d’amour...” C’est moi.
...
[sur l’air du Petit Navire]

La la la la la la la la la la la...

[il commence à s’habiller]
...
“Gilgamesh, je vais te dévoiler un secret profond et mystérieux. Tu connais Shourouppak, la ville située sur le bord de l’Euphrate, cette ville où depuis des temps éloignés, les dieux habitent. Un jour, les grands dieux ont décidé de faire le déluge. Ils ont tenu conseil, ENKI-EA, le dieu d’en bas, le dieu des eaux, le père des hommes et de toutes créatures, animales et végétales, le sage et le connaissant, était présent parmi eux. Une nuit, il descendit sur la terre, se pencha sur ma maison et me répéta leurs paroles.
Ils me dit : Démolie ta maison et construis pour toi un bateau. Abandonne tes biens et tes richesses. Demande la vie sauve, rejette tes possessions, charge dans ce bateau la substance de tout ce qui est vivant.
Ce bateau que tu construiras, que ses mesures soient bien exactes. Que sa  largeur égale sa longueur et en tout pareil pour sa hauteur.“
...
[quand il a fini de s’habiller, il s’assoie sur la chaise/tabouret, face au public]

Faire l’acteur ? Le fou. Le jongleur ? Jouer à se mettre hors jeu, hors la vie, faiseur d’artifices, le nain-jaune, le bouffon, le joker,
 l’amuseur, le révélateur, saleté de miroir. Pourquoi je suis pas dans la rue, sur la place, à crier, à lancer des pavés dans la marre ?
Coups de pioches contre les murs... “Ich bin ein Berliner” Sarajevo ou Santiago “El pueblo unido jamås sera vencido”
“C’est une maison bleue...” Qu’est-ce que ça veut dire ???
Qu’est-ce que j’ai envie de dire ?
Albane.
...
“À la première lueur du jour, les gens du pays s’assemblèrent autour de moi. Ils me portèrent d’excellents moutons et des bêtes de la plaine pour le sacrifice. Les jeunes me portèrent le bitume, les grands, les autres éléments nécessaires. Au cinquième jour, je dressai la charpente du bateau. Son plancher faisait un Ikku, la hauteur de ses parois cent-vingt coudées. La longueur de chacun de ses côtés était de cent-vingt coudées. J’ai fais six ponts, ainsi, je l’ai divisé en sept étages. J’ai divisé chaque étage en neuf parties. J’ai enfoncé les chevilles marines pour empêcher les eaux de s’infiltrer. J’ai versé six sars de goudron et six sars de bitume. Un sar d’huile pour enfoncer les chevilles marines et deux autres sars d’huile que le batelier garde en réserve. J’ai mis les perches et chargé les provisions. Chaque jour, pour la nourriture des gens, j’ai fait égorger les bœufs et les moutons. J’ai offert aux artisans le jus des vignes, le vin rouge, le vin blanc et la bière pour qu’ils en boivent comme l’eau du fleuve. Enfin, j’ai fait une fête, comme le jour du nouvel an. Je me suis lavé et frotté les mains avec l’huile.
Au septième jour, la construction du bateau était terminée.
J’ai porté dans le bateau tout ce que je possédais. L’argent et l’or, je les ai portés. Tout ce que j’avais d’espèces vivantes, toute ma famille et mes parents. Les bêtes domestiques et celles de la plaine. Tous les artisans, je les ai fait monter aussi. Le dieu UTU-SHAMASH, le soleil, la lumière du ciel m’a fixé le moment précis et m’a dit : Lorsque le soir, celui qui tient les tempêtes fera pleuvoir la pluie de malheur, entre dans le bateau et ferme la porte.
Quand le moment fut venu, je regardai le ciel. Il était sombre et effrayant à voir. Alors, j’entrai dans le bateau et fermai ma porte.”
...
C’est fait. Gagné ! [crié]
Souffle, respire, laisse pisser.
Tu tiens le bon bout. Tu tiens le bon bout.
Respire, c’est fini... Pour aujourd’hui...
Envie de pisser.
Putain d’envie de pisser...

[il sort, bruit de chasse d’eau]
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4 février 2008 1 04 /02 /février /2008 16:44
                 Pattes en l’air le gros rouquin pionce, il se chauffe le ventre aux premiers rayons sur les tuiles encore tièdes de la veille, la canicule sévit, le chat dort. Des toits à perte de vue, champ de cheminées, d'antennes et de paraboles ; vrai paradis pour un matou de gouttière. Et voilà que sous son oreiller se réveille une machine infernale, le miron sursaute, s’étire et s’éloigne, pas moyen de ronfler tranquille, les humains ne sont décidément pas des créatures comme les autres.
Sous les tuiles, emmêlimêlé tirbouchonné dans son drap, l’humain transpire et grogne, il se retourne et se bouche les oreilles.
« Crise financière mondiale, faillites en chaîne ; le baril de brut vient de franchir un nouveau record ; l’euro fort face au dollar ; noyades en série sur la côte landaise ; l'immobilier plonge... » France-Info débite ses tranches.
Saloperie de chimie narcophile ; faut que je me lève ; trop chaud ; encore un moment, ferme les yeux, concentre-toi… Imagine que ça pourrait être au bord d’une petite rivière, un chaud après midi, un coin vert ombragé, une mignonne rouquine gironde apparaît, pose sa serviette, elle ôte son tishirt, enlève sa culotte, petit cul rond tacheté, chatte en écureuil, elle me voit, me sourit… « Hier soir l’O.L. à battu ST-ÉTIENNE 2 à 0 »  Elle s’approche, ses seins abricot, et cette odeur un peu lourde…
Notre humain mâle bande comme un âne. « Recapitalisation, les désaccords persistent ; ... »
Faut que je me lève, de la glu dans la cervelle, quelle heure il est, 9 h 47, bon, je me laisse jusqu’à dix. Aaah ses petites fesses potelées, son minou minou minou… hummm, arrrrg, humpppfffff, …
Merde, ça colle, j’aurais du mettre une capote, obligé de prendre une douche, dormir encore un peu, chaud, trop chaud, envie de pisser.
« Météo, anticyclone, chaleurs sur tout le pays. »
Il se lève, tient sa bite et ses couilles dans le creux de la main pour ne pas foutre de son foutre partout, arrive jusqu’à la douche, ça fleure le vieil égout qui se néglige, il se dit qu’il faudra un de ces jours faire un... le grand ménage, dans l'appartement et dans sa vie.
Ce sera pour un autre jour.
Sa sous-pente sur les Pentes de la Croix-Rousse, c'est au sixième étage sans ascenseur, ça explique le loyer pas trop cher ; quarante degrés l’été, sept/huit l’hiver, une vingtaine de mètres carrés encombrés, deux petites fenêtres ras le plafond. Il y a un an ou deux de ça, des velléités de peinture, de replâtrage et puis, c’est resté en plan, encore le seau de peinture dans l’entrée, sec.
Son seul luxe des luxes, une machine à laver, dix ans d’âge, toujours en service. Vu son boulot, vaut mieux pouvoir se changer avec du propre.
L’eau est tiédasse, il ne trouve pas la savonnette, elle a dû fondre, une giclée de gel douche.
Qui a laissé ça ? Pas moi, une fille, longtemps alors, doit être périmé le truc.
Il sent, odeur de la pomme ; c’est marqué dessus : Pommes vertes.
Quel jour on est ? C’est quoi le programme ? Verra ça plus tard, penser prendre l’agenda…
Il ouvre un placard, plus rien à bouffer, un croûton de pain sec, de la Ricorée en blocs, ses bols sales sont dans l’évier plein, débordant de vaisselle qui commence à puer.
Il décide de descendre, d’aller voir ailleurs, prendre de l’air, claquer un peu de monnaie dans un rade pour un café croissant.
Pierre-Nicolas ne bosse jamais le matin, c’est un principe de réalité qui comme toute règle souffre beaucoup en cas d’exception, les exceptions c’est les vacances scolaires ; on fait chier les mômes au lieu de leur accorder une grasse mat’ bien méritée.
Rues désertes, sont tous au bord de l’eau, rue des Capucins, du Blandan, place Sathonay à l’ombre de ses marronniers malades, pollution ou changement climatique ça occuppe les piliers de comptoir,  une cigale chante ; un point pour le réchauffement. Avec le dérèglement climatique Lyon dérive doucement vers le sud. Le Café de la Marine est ouvert, terrasse de sortie, pas grand monde là non plus, il est peut-être encore un peu tôt. Marine parce que la Saône pas loin, une maquette de péniche Fressinet et quelques ustensiles évoquent le bon temps de la batellerie traditionnelle, reliques.
Il s’installe, Didier vient prendre sa commande.
— Un double café et un croissant terrasse !
Pierre-Nicolas regarde, se pose des questions, encore vagues, pourquoi si peu de gosses en train de jouer, pourquoi si peu de monde ? On se croirait un…
— Et voilà !
— Merci. Dis-moi, quel jour on est ?
— Le 3.
— Oui mais bon, c’est un quoi le 3 ?
Le garçon sourit en reluquant de plus près la tête de son client.
— Tu devrais aller plus souvent à la messe, ça te ferait un repère.
Il disparaît sans attendre de commentaire.
Pierre-Nicolas se gratte en pensant que s’il avait su il ne se serait pas levé, il reste coi, en oublierait presque de boire son kawa.
Que faire d’un dimanche d’août ? Pas de réponse à l’horizon. Il commande une fillette de blanc, du mâconnais, se dit que ça fera venir une idée, ou alors une âme déshydratée.
La suite, il ne s’en souviendra plus, d’escale en escale, de rives en dérives, de bas en hauteur, de pot en pots… jusqu’au bout de la nuit.

        Le souffle court, la trogne suante, le visage bien dans l’œil de la caméra, il s’époumone.
Ois ois tavernier ! Aie pitié d'un pôoovre buveur.
Le doigt sur la sonnette, rouge comme une langouste cubaine fraîchement jetée au court-bouillon, Pierre-Nicolas poirote devant la porte du Trabouliste
— Georges, bouge ta graisse !
Le patron lève les yeux vers l’écran et identifie immédiatement cette silhouette légèrement surexposée. Il se dit que ce n’est vraiment pas de veine, à cinq minutes près il avait éteint ses lampions et passé l’éponge. Il sait d’expérience que l’autre, là dehors, ne lâchera pas. Silhouette entre deux âges, taille moyenne, le cheveu court, short en toile légère, chemisette claire, pieds nus dans des sandales de cuir usé. Bref, aucun signe particulier. Peut-être, en y regardant de plus près, un peu rougeaud du pif, notre bonhomme ne doit pas cracher sur la bibine.
Déclic, l’antre s’entrouvre, César le doberman montre les crocs et renifle.
Un chien qui fait la grimace, c’est possible. Il connaît ce client qui lui parle en avançant une main vers ses mâchoires ; trop tentant.
— Gentil le toutou. Au secours, à boire !
Claquement sec, dans le vide.
Le Trabouliste est un bouge en bas de la Grande-Côte, celle du dictionnaire du lyonniais illustré, Grande-Côte transformée naguère en piste de bobsleigh à « Bobos » par un urbaniste farceur.
Georges est derrière son comptoir, débardeur noir, cheveux ras, peau luisante, pas si grand que ça mais adepte de la gonflette, ça impressionne.
Pierre-Nicolas connaît les lieux, il se perche sur un tabouret, une chope ras le bavoir se pose devant lui, il l'attrape à la hussarde, descente tout schuss.
Beurrkkk.
Un rot à réveiller un Bavarois ivre mort. Il ne réveillera pas les clients, la salle est vide, pourtant les pierres du plafond voûté conservent encore un peu de fraîcheur. Sauf qu’au mois d’août, c’est pas la foule.
Georges en philosophe.
— Super la conversation, t'as l'intention de passer tes vacances ici ?
— Je viens à peine de couper la ligne, une vraie descente du col Gotha en solitaire, et personne au bout pour me gerber des fleurs.
— Ne parle pas de gerbe ici, tu veux. T’as rien de plus passionnant à me raconter ?
Le temps d’une nouvelle gorgée pour lancer la mécanique.
— Écoute, y vient de m’arriver un vrai truc de dingue, à peine croyable, ça va te plaire, et peut-être même que…
— Accouche !
— Okay, bon, vise le tableau. Comment dire, imagine, le bout du bout du plateau de la Croix-Rousse, adossé au Gros Caillou, et à mes pieds l'immensité urbaine. Lyon Plaines-de-l'Est, il est dans les deux heures du mat’.
— Un lundi 4 août, et le lundi c’est mon jour de fermeture, tu piges l’allusion ?
Fais pas chier ! Attends ! J’ai fini la soirée au « Gadin ».

        Le Gadin est un bouchon, pure tradition locale, tripes, abats et cochonnailles à volonté. Le pot de côtes est bon et bon marché, arrivage direct du producteur.
Pas mal imbibé et se sentant un peu ballonné, rapport aux lentilles cervelas et aux cocos harengs à l'huile, Pierre-Nicolas sort prendre un bol d’air. Il inspire profond, souffle, inspire, souffle à nouveau, technique de la cuite sans douleur. À suivre un déballastage sauvage dans les massifs du square Francis-Deswarte. Il se débraguette et pisse à longs jets. Brillante, lactée la nuit, juste un léger voile de brume au-dessus du Rhône, l'air est encore tiède. Un champ d’étoiles. À l'angle sud, en fuite, la lune comme une rognure d'ongle. Au loin, ça clignote, longues guirlandes de lampions blancs, orangés, forment un napperon en dentelles de lumière ; toile d'araignée pour les angoissés  dépressifs. Rares voitures en maraude, le chant d'une sirène.
À cet instant précis, il pense très fort que l'intérêt de picoler en altitude c'est que ça descend pour rentrer au bercail. Bon calcul. En avant toutes ! Plongée, les pentes de la Croix-Rousse, celle des Compagnons et de la révolte des Canuts, historique, dans tous les guides. Rues étroites, hautes façades, escaliers à tous les étages, traboules, on n'y voit goutte. Murs bombés, pochés, tagués, sauvagement affichés. Art ou déprédation, c’est selon mais c'est classé au patrimoine mondial de l'humidité... de l’Humanité.
Pas un rat en vue. Dans les coins, doubles points verts phosphorescents, à l'affût. Ils guettent. Un miron averti en valant deux, trois... Tchac-tchac, tchac-tchac, tchac-tchac, tchac-tchac. L'oreille se dresse. Petits bruits rapides, pas habituels, bien rythmés, comme un balai sur une caisse claire.

— Je venais d’emboucher la rue Diderot, j’écarquille mes mirettes, je fais le point. J’y crois pas ! Une longue canne d’aveugle balance d’un côté l’autre, juste en avant d’elle.
Le torchon du patron suspend ses arabesques.
— Elle qui ? T’as déjà entendu une canne blanche faire « tchac-tchac », toi ?
— Si j’te l’dis ! Je suis pas encore halluciné !
Elle, une femme. Bon, je continue. Je prends le temps de la reluquer. Je pense : gonflée la nana, pas froussarde. Je la filerais bien, mais alors de loin. Ça doit avoir l’ouïe fine. Elle m’a tout l’air de savoir où elle va.
Je reste derrière, à trente pas. Elle est mince, cheveux longs, brun cuivré, ils ondulent au rythme de ses hanches, blue-jeans et tennis. Tu la vois ?
— Dix sur dix.
— J’me dis. Hello, mister Seguin, Blanchette n’est pas encore rentrée. Tout de même, une aveugle, tu n’oserais pas !
— Je te connais, sale vicelard, ne me la fais pas, enchaîne.
— La petite voix intérieure, celle qui dit : STOP !
J’ai crié, sans réfléchir.
À hauteur de tête, un morceau de ferraille dépasse d'un échafaudage.
Elle s’arrête net, cherche… Plus haut ! Que j’lui dis.
Elle touche la barre de fer. Je gamberge.
Plus la peine de jouer au loup. Je me rapproche. Je cause, doucement, pour pas l’effrayer.
— C’est dangereux, et à l’allure où vous alliez.
Elle se tourne.
Larges lunettes noires, joli minois, très fin, énigmatique. Impossible de lui donner un âge, jeune. Elle me remercie. Un temps et puis elle questionne, limite soupçonneuse :
— Vous me suiviez ?
J’lui réponds sans me démonter :
— Non, je rentrais chez moi et je vous ai vue, à c’t’heure, une femme seule c’est… Je peux vous accompagner un bout ?
Niet, elle a pas l’air contente, elle me demande de fiche le camp. Sa voix est tranchante, impérative, c’est une commandeuse. Un peu surpris, je lui dis de ne pas avoir peur de moi.
J’ai l’impression qu’elle se marre en dedans, et puis elle dit :
— J’ai peur pour vous, si vous continuez à me suivre.
Je tente une pointe d’humour.
— Vous n’avez rien à craindre, je ne vous croquerai pas. Enfin, sauf si…
Jojo se prend la tête.
— Qu’est-ce que t’es lourd, je ne sais pas si le père Seguin y portait des sabots, mais alors les tiens, y sont en plomb.
— Quoi ? J’allais pas lâcher le morceau comme ça. Bon, je continue :
Elle recommence à marcher, j’emboîte. Rue à droite, on remonte. Je glisse mon bras sous le sien. Elle se dégage aussi sec, j’insiste pas. Je meuble, je lui parle poli, la chaleur, les derniers potins, qu’on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre.
— Je m’en aperçois. Soyez tranquille, si on nous attaque, je vous défendrai.
Alors là, je reste perplexe. Est-ce que des fois elle ne me prendrait pas pour un con.
La figure du patron s’illumine.
— Ah, tout de même, un éclair de lucidité !
Pierre-Nicolas vide son bock.
— Attend, c’est pas fini, le plus fort est à venir. On arrive devant une entrée d’immeuble en haut de la montée Saint-Sébastien. Elle tend la main, effleure le clavier, déclic, la porte s’ouvre. J’y ai vu que du feu. Elle cherche à me larguer.
— Bonsoir, Monsieur. Merci de votre aide précieuse. Adieu.
Je joue le gars compréhensif, mais avant de partir, je me présente. Moi, c’est Pierre-Nicolas Sorin, j’habite à l’angle de la rue Leynaud, on est pour ainsi dire voisin, alors si des fois… on pourrait peut-être… Là, j’avoue que je m’emmêle un peu les pinceaux. Je m’avance dans l’ouverture, je bloque avec le pied, j’abats ma dernière carte.
— C’est comment votre prénom, vous êtes très jolie vous savez. Ce serait dommage de…
Elle me coupe le sifflet.
— Pour la dernière fois, partez !
Elle ne crie pas, mais sa voix est coupante comme une lame, sûre d’elle.
Je panique un peu, si elle ameute la populace, j’imagine déjà le titre : « Le violeur des pentes a encore frappé. » Je suis prêt à décrocher quand… À la lueur de la rue, au fond du couloir, une ombre bouge. J’allume, ben oui, elle, elle s’en fout de la lumière.
Elle se raidit, plonge la main dans son sac.
Attention, je reprends l’avantage. Je lui glisse dans l’oreille : Il y a quelqu’un, il s’est caché.
Temps d’arrêt, elle est pâle, elle écoute. Son visage se crispe, je sens qu’elle sent une présence.
— Vous en êtes certain ?
Je jure de ma bonne foi, et je balance en parlant haut.
— Qui est là ! Montrez-vous !
Elle me retient.
— Non, attendez, moins fort. Vous allez réveiller tout l’immeuble. Et maintenant fichez le camp, vite, laissez-moi.
Je m’étonne. Je fais l’imbécile façon défenseur de l’aveugle et de l’orpheline. Je sais Jojo, n’en rajoute pas. Un grincement de porte, peut-être une grille de cave. La tension monte d’un cran. Je la regarde, sans gêne. Elle se tient immobile, le dos contre la porte, face à moi, la main toujours dans le sac.
Je me demande sur quels critères une aveugle choisit un homme pour faire l’amour. Le son de la voix, l’odeur ? Elle doit certainement le toucher. Le grain de la peau ?
Jojo s’en fout, il saisit la pinte, regard interrogateur, Pierre-Nicolas approuve. La pompe fait le reste. Et de deux. Il reprend le fil de la narration.
— Le face à face dure moins d’une minute, mais ça me paraît long, je ne sais plus trop quoi faire, ni quoi dire. Et d’un coup elle m’attrape par la manche, me pousse devant, nous entrons, moi en bouclier. Je flippe sérieux. Elle ne dit toujours rien. Je t’avoue que je me sens dans mes petits souliers. Nous montons, et là tu ne me croiras pas, je commence à bander grave, c’est que je la sens, fragrances de chair chaude un peu âcre et son souffle sur ma nuque. Les phéromones, et ben ça fonctionne à donf.
Jojo se gratte le ventre, il s’attend au pire.
Troisième étage, une porte sans nom, elle frappe deux petits coups brefs puis sort une clef de sa poche. Elle lève la main à hauteur de mon visage, le touche, caresse mes cheveux.
— Pierre-Nicolas, je m’en souviendrai, n’ayez crainte, je ne vous oublierai pas.
Elle ouvre et disparaît. Porte close. Je reste quelques secondes, immobile, une fois de plus con comme un manche. C’est toujours pareil, au dernier moment… Plus qu’à redescendre, queue en berne. Je ne sais rien d’elle, pas même son prénom.
Georges est dubitatif.
— Ben mon colon, tu seras toujours le dindon, toi. Je mets le dernier sur mon compte, tu vois, t’as pas tout perdu. Dis, tu ne l'aurais pas inventé à mesure ton conte de fée ? Histoire de jouer la montre ? T’es un petit mariole toi.
— Tu m’crois pas ?
— Mais si, mais si, allez, tout le monde dehors. Tu me raconteras la suite demain. L’adresse, tu t’en souviens au moins ?
Ouais, tu penses bien, dès ce matin avant midi j’y retourne.
Georges lève les yeux au ciel, il sentence pour la forme :
— Le matin, tu sais, c’est souvent avant midi.
Sur cette vérité inébranlable Pierre-Nicolas vide sa mousse et s’en va. Sous son crâne, un vrai cinoche, drôle de bobine, le film repasse en boucle, mauvaise copie, l’original ne vaut guère mieux. Le jour commence à poindre, l’heure des braves, il rentre se coucher.

        Une poignée d’heures de sommeil agité plus tard, réveil en cafard. Et toujours les mêmes images qui défilent. Pour en avoir le cœur net, retour arrière, sauf qu’il fait grand jour. Le décor n’a pas bougé, il ne manque que l’actrice principale.
Il hésite, l’oreille collée au panneau de bois, n’ose pas frapper. Il demande à plusieurs indigènes dans l'escalier s’ils connaissent une jeune aveugle habitant l’immeuble. Chaque fois la même réponse : « Non monsieur. Une jeune aveugle ? Je ne vois pas, vous devez faire erreur. »
Il se décide à toquer, deux petits coups, comme elle. Nobody at home. Un type genre baba sur le retour lui dit en passant que ce n’est pas la peine d'insister, il n‘y a personne, l'appartement est inoccupé depuis près d’un an.
Dépité, Pierre-Nicolas s’en retourne, un point d’interrogation sur le bout du nez. Et s’il s’était endormi sur une marche, un rêve, rien qu’un foutu rêve…
Le soleil est déjà haut, l’heure de l’apéro toute proche. Il suit docilement le sens de la pente. Déambule sur un quai presqu’îlien, sous les platanes malades du chancre coloré, il imagine un blurpe arc-en-ciel et gluant recouvrant peu à peu la ville, et l’étouffant. La Saône semble figée. Une mouette somnole sur le parapet. Rien d’autre à faire, un 4 août, 13 h 57, date anniversaire que plus grand monde ne fête, mis à part une bande d'irréductibles Hauts Ardéchois. Il se dit que s’il avait une bagnole… Il doit faire frais là-haut.
Une terrasse face aux vingt-quatre colonnes du Palais de justice. Ici, les platanes ont été remplacés par des tulipiers de Virginie, dans vingt ans il y aura de l’ombre. Sur les bas ports, le four à bronzette, une paire de nichons à mater, il ne s’en prive pas.
— Garçon, un demi !
Et pourquoi pas une petite sieste.

        La nuit est revenue sans crier : Gare ! Dernier train, destination couchette. Pierre-Nicolas chante faux mais de bon cœur, il a du coffre et le voisinage profite gracieusement du récital. Miche Fugain étant encore bien vivant il ne peut donc pas se retourner dans sa tombe.
« Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge une fleur couleur de sang »…
Finalement, même en ce maudit mois d’août, en s’en donnant la peine, on trouve des occasions de trinquer.
« Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge, lève-toi car il est temps »… Merde ! Saloperie de trottoir de merde !
Il grogne en boitillant et en maudissant tout le monde et les autres. Arrivé devant son immeuble, clés, serrure, le bouton de la minuterie. Ni fiat ni lux, panne.
— Bordel de merde ! Y a vraiment rien qui marche, ce monde est pourri, je vous le dis, CE MONDE EST POURRI !
Un voisin qui a la mauvaise idée de vouloir dormir fenêtres ouvertes l’insulte.
— Ta gueule, connard !
Il passe outre et chante de plus belle jusqu'au palier du sixième. Droit devant, trouver le trou de la serru…
— Pute borgne, je, j'étais sûr d'avoir fermé.
Beaucoup plus calme d’un coup. Le battant est entrebâillé, il pousse, avance timidement son museau. S'il avait eu un flingue… mais là, pas envie de se coltiner un petit con de petit voleur à la manque et de prendre un coup de canif dans le gras du lard. Par prudence, il lance :
— Y a quelqu'un ?
Le silence lui répond que non, y a personne.
Il allume et… Tout refroidi qu’il est, même un peu mou de la jambe, un rien de tremblote dans le poignet. Pas habitué à jouer dans la cour des grands. L’appartement a été visité et le guide n'a rien oublié. Tout est sans dessus dessous et pas mal de casse en prime. Un neurone s’allume et illumine les injonctions à régler au plus vite les loyers en retard. Il se dit que c’est le moment opportun pour changer d’adresse.
Il enjambe, récupère un sac de voyage, et enfourne tout ce qu'il trouve de fringues mettables, de bibelots rescapés, bouquins, sa brosse à dent, et par ici la sortie, silencieux. Il tire la porte, la bloque avec un bout de carton et file en matou.
    Qu'est-ce que c'est que ce souk, qui m'a fait ça ? Pas des pti-beurres, eux se contentent de faucher, au pire ils chient dans les coins et te taguent la tapisserie. Merde, ma machine à laver, où est-ce que je vais pouvoir la mettre ?
Redescendre, traverser la rue Terme, prendre le sergent Blandan à revers, déboucher sur la place Sathonay, raser les murs. Il y a de la lumière au Café de la Marine.
    Bonne pioche, pourvu qu'Éric ou Môdit Joker…
Il fait son entrée. Le bois ciré et les cuivres brillent, il s’accoude au zinc en zinc, il se sent déjà un peu mieux, un vrai bistrot, y’a pas mieux.
— Tu rentres des colonies ? T'as pas bonne mine mon gone, t'as bouffé des moules ? Faut faire gaffe par cette chaleur.
Rigolade alentour, derrière le comptoir, les moustaches de Roberto sautillent d'aise.
Pierre-Nicolas pose ses sacs et commande un double calva. Le patron obtempère et encaisse sans broncher.
Éric pointe son nez, qu’il n’a plus très droit, sans compter les cicatrices et bosses diverses, le roi du carton, boire ou conduire, il n’a jamais pu choisir. Le plus dingue, c’est que toutes les filles sont folles de lui.
Le nouvel arrivant vide sec son verre. Il grimace, secoue sa carcasse, file droit sur Éric, et l'entraîne dans l'arrière-salle.
Un bon quart d'heure de messe basse, personne n'ose déranger. Et puis :
— Y a pas de problème, tu t'installes pour quelques jours, le temps de voir venir.
Julie, rousse de son état, une vraie, s’informe de la conspiration. Mise au jus, elle se penche et colle un petit baiser sur la bouche de Pierre-Nicolas.
— Ça va mieux mon minet ? Tu veux encore un peu de couleur ?
Elle lui caresse la tête.
— Hein, mon minou…
Il se détend, esquisse un sourire coquin et pose sa main sur la hanche de la belle.
Roberto en remet un, celui du patron. Comme quoi le malheur a parfois du bon.
… … …

à suivre...


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Audio Vox Concept'

regroupe une suite de textes conçus et écrits pour la voix.

Mise en bouche en souffle en 3 2 1 …

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(enregistrement artisanal par l'auteur)
La version audio est parfois différente de la version texte.
La raison pourrait en être une persistance des brumes textuelles.
Les poèmes sont des plaques tectoniques, ils bougent, se choquent, s'entrechoquent, emmagasinent de l'énergie, cela produit des failles de sens, des cratères néologiques, parfois aussi des tremblements de vers, des tsunamis sémantiques…